Joe Biden est désormais le candidat démocrate à la Présidentielle américaine. L’histoire retiendra sa « résurrection » lors du « Super Tuesday ». L’histoire est-elle écrite par les vainqueurs ? De toute évidence nous sommes plus enclins à écrire ou écouter les histoires des vainqueurs que des vaincus.
Ce « biais du survivant » nous pousse à délaisser des « échecs stories » pour les « success stories ». Ajoutez à cela le « biais d’optimisme », où nous surestimons nos capacités à réussir nos projets plutôt que de les questionner « pré mortem », et notre obsession des succès contient, paradoxalement, les ingrédients de nos futurs échecs.
Celui de Michael Bloomberg, qui avait tout pour réussir, mérite pourtant l’attention. Fortune évaluée à 60 milliards $, empire dans la société de l’information, maire de New-York de 2001 à 2013… Sa campagne pour la primaire démocrate marque également les esprits avec plus de 550 millions $ en publicité et un budget avoisinant 1 milliard $. Pour sa campagne numérique Bloomberg créé aussi en 2019 Hawkfish, start-up qui durant trois mois innovera, notamment sur les réseaux sociaux.
Un autre aspect de la candidature Bloomberg est moins évoqué : celle de la mobilisation d’un véritable « empire de l’influence », via le mécénat. Evolution nationale en 10 ans des dons rendus publics par Michael Bloomberg. (NY Times) Si l’influence par le mécénat n’est plus à démontrer, Michael Bloomberg incarnait cette fois au grand jour un « philanthrocapitalisme » à la conquête de la Maison Blanche. Explosion en 2019 des dons de Michael Bloomberg et de sa fondation. (NY Times) Cet attelage mêlant économie de l’attention et influence philanthropique aurait-il été efficace face à Donald Trump en novembre ? Nul ne le saura jamais. Cette action portait ses fruits, une dynamique était enclenchée, mais s’est brisée lors des débats télévisés des 19 et 25 février, Bloomberg échouant à rallier les électeurs démocrates. Evolution du soutien des publics exposés et non exposés à la campagne média de Bloomberg.
La différence est notable, mais le soutien des exposés ralenti puis s’effondre à l’approche et suite au premier débat. (FiveThirtyEight) Les explications sont multiples : cible privilégiée, stratégie risquée, doute sur sa sincérité, personnalité froide… Mais s’il fallait retenir une leçon, elle serait que si Michael Bloomberg est un acteur incontournable de « l’économie de l’attention », il s’est avéré incapable d’en être un produit. Trump fut surnommé avec mépris le « premier président issu de la téléréalité ». C’était oublier qu’au-delà d’une personnalité controversée, l’actuel président des Etats-Unis avait parfaitement compris comment incarner un produit accaparant l’attention. Présentateur et coproducteur de l’émission « The Apprentice » durant plus de 12 ans, Trump disposait d’un « capital d’attention » que n’a jamais pu constituer Bloomberg en 100 jours.
Par ailleurs, l’influence suppose un temps long. Les actions philanthropiques, si elles sont efficaces dans la durée pour peser dans le débat idéologique, s’assurer des relais, alimenter l’actualité et construire une image, n’ont pas eu le temps de peser dans la balance. Et maintenant ? Biden a fait savoir qu’il ne comptait pas s’assurer les services de Hawkfish, dans laquelle Bloomberg continue pourtant d’investir. Il semble davantage attendu de Bloomberg qu’il engage sa fortune dans la campagne.
Les rumeurs parlent de 250 millions $, voire plus. Le souhaite-t-il vraiment ? De son aventure à la primaire démocrate, le public ne retiendra qu’une sentence : « une élection ne s’achète pas ». Mais nul doute que de prochains candidats, magnats des médias où figures du philanthrocapitalisme, sauront tirer les véritables leçons de cet échec.