Au sortir de la crise sanitaire, la France vit une expérience cruelle et paradoxale

26.06.2020 - Regard d'expert

La guerre n’aura finalement pas eu lieu (tout juste une annonce présidentielle…), mais notre pays ressemble à s’y méprendre à un champ de ruines : discrédit de la parole publique, qui a emporté dans son sillon celle des sachants et experts, recul historique de notre économie, récession sociale aux effets rebonds multiples, fracture de citoyenneté, le tout sur fond de repli identitaire. Cette « drôle de guerre » aura aussi révélé ses héros : les personnels de santé, bien sûr, mais aussi tous les premiers de corvée, qui ont tenu bon gré mal gré le front des services vitaux du « second cercle » (l’eau, l’énergie, le ramassage des ordures, la distribution, l’alimentation…).

Elle aura enfin mis en exergue les digues qui ont tenu :

• les entreprises, qui se sont adaptées et ont jeté pour nombre d’entre elles toutes leurs forces dans la bataille (reconversion pour tenir compte des pénuries, réinvention parfois de leurs métiers et de leurs modèles en accélérant notamment leur mue numérique, protection de leurs salariés…) ;

• les collectivités locales, qui ont pris des mesures d’urgence dans le cadre très contraint qui leur était imposé par un Etat jacobin à l’excès, inutilement tatillon dans ses prescriptions et incapable d’adapter ses procédures à la crise (qu’il s’agisse de la gestion des masques ou de l’homologation des tests) ;

• les citoyens eux-mêmes, qui ont fait preuve de patience et d’obéissance, en adaptant leur comportement individuel, au prix de restrictions des libertés, à l’intérêt général (contenir la propagation du virus, protéger les plus fragiles). Mais le pire est sans doute ailleurs.

La crise, qui peut être le moment par excellence de la refondation, autour d’une expérience inédite, mélange de ruptures et d’accélération de phénomènes en gestation, pourrait bien être pour la France une opportunité avortée. La difficulté, voire le refus, de nos élites dirigeantes d’accueillir des solutions en dehors du périmètre étatique, ont pu doucher ce qu’il restait d’énergie collective. Citons à titre d’exemple le contournement de la médecine de ville, la marginalisation des laboratoires privés dans la campagne de dépistage, ou encore la mise au point laborieuse d’une application gouvernementale d’aide au tracking (qui arrivera finalement trop tard).

Cet autisme d’Etat aura oublié un principe de base de la gestion de crise : fédérer toutes les volontés, en reconnaissant la contribution de chacun, aussi minime soit-elle, et là où il peut aider. Cette impasse prive en définitive notre pays de l’un des principaux ressorts d’action pour l’avenir : la résilience collective. Qui n’est que l’autre nom d’une démocratie vivante

Didier Le Bret
Didier LE BRET, directeur de l’Académie diplomatique et consulaire et ancien associé senior ESL & Network, est diplomate de carrière. Il est notamment nommé ambassadeur de France en Haïti en septembre 2009, fonction qu’il exerce jusqu’en décembre 2012. Durant sa mission, il aura eu à gérer et à coordonner la réponse française au séisme du 12 janvier 2010. Il dirige le Centre de crise du Quai d’Orsay de 2012 à 2015 avant d’être nommé Coordonnateur national du renseignement, auprès du Président de la République, fonction qu’il exerce de mai 2015 à septembre 2016.