Cinquante cinq jours de coma artificiel ne s’effacent pas d’un claquement de doigts. Après la sidération, le réveil. Et désormais les premiers mouvements. Comme une photo dont la résolution se précise peu à peu, les chiffres des dégâts du coup d’arrêt économique lié au Covid- 19 s’étalent de plus en plus nettement au même rythme que le coeur retrouve son rythme normal.
Après le nombre de lits de réanimation et de respirateurs, le coefficient de circulation du virus ou les décès dans les Ehpad, se profile une nouvelle litanie, celle du nombre des emplois menacés ou détruits, des défaillances d’entreprises, du déficit et de l’endettement public et privé. Le collapse de l’économie ? Un plongeon de 10 à 14% sur l’année. Le chômage ? En trois mois plus d’un million de personnes en plus et un pic redouté de 11,5% de sans emplois à la mi 2021. La dette publique frôlera 120% du PIB. La consommation a fondu d’un bon tiers. Camaieu, Fauchon, André, Celio, Solocal (ex Pages Jaunes)… les défaillances d’entreprises au nom emblématique s’accélèrent et derrière elles une myriade de PME en souffrance. Voilà pour le procès verbal de la crise. L’économie étant affaire de confiance voire d’auto réalisation, rien n’empêche de penser ou de se convaincre que cette photo va se trouver démentie par un redressement plus rapide que prévu. Les premiers signaux sont encourageants. Les clients reviennent dans les magasins. Le chômage partiel a ralenti l’envolée des licenciements. Les prêts garantis et le report des cotisations Urssaf soutiennent les entreprises viables. L’activité renoue avec la croissance pour la première fois depuis quatre mois. Le climat des affaires s’améliore. L’Europe pourrait faire un pas de géant avec son plan de relance assis sur une mutualisation de la dette. Feu de paille ou rebond durable ?
Bien malin qui peut encore le dire dans un environnement mondial déprimé. Car il reste à consolider cette relance. Les entreprises paraissent déterminées à revisiter leurs modèles, adapter leur outil productif, réorganiser leurs chaînes de valeur, favoriser les solutions pour une économie décarbonée, imaginer de nouveaux modes de travail (mobilité, travail à distance…). Ce sera nécessaire mais pas suffisant si, après avoir mis le pays sous cloche, on ne parvient à le remobiliser. Le desserrement plus rapide des contraintes sanitaires montre que l’heure est au pragmatisme. Au même titre que le souci d’éviter les incantations anxiogènes, la parole publique va être fondamentale pour accompagner le mouvement. La parole publique à la fois comme discours et comme engagement. Elle a fait le choix de se projeter dans l’avenir, plutôt que revenir sur les ratés et les erreurs des derniers mois. Soit. Les décisions de l’après élections municipales vont être cruciales. Le vrai test sera là. Ce n’est pas le moindre des paradoxes qu’aura souligné cette crise. D’un côté l’impression d’un État tatillon, procédurier, freinant l’initiative, grippant les processus voire les désorganisant. Mais de l’autre, une machine étatique apparue sourde, coupée du terrain, démunie pour déployer l’action de proximité et obèse et adipeuse dans les étages intermédiaires. Cet État qu’on adore critiquer manque cruellement de moyens pour adapter, doser et calibrer son action sur le terrain. Et de courroies de transmission. Au même titre qu’il paraît manquer de moyens humains pour sentir le contexte local et faire remonter l’information afin d’ajuster ses initiatives.
Ses représentants dans les régions sont les premiers à le constater, s’en inquiéter, voire à s’en désespérer. Depuis trois quinquennats, des programmes de réforme de l’Etat se sont succédé sous des acronymes savants (RGPP, MAP, CAP 22). Aujourd’hui on parle d’OTE (Réforme de l’organisation territoriale de l’Etat). Ils ont souvent abouti à déshabiller les forces du terrain au profit de la bureaucratie. Sans réduire la verticalité excessive du pouvoir. Et plutôt en désarmant ce qu’on appelle l’Etat territorial. En témoigne ce constat qu’entre la mi janvier et la mi mars seul le ministère de la Santé, à travers les ARS, a été chargé de piloter au nom de l’Etat la réponse à la crise qui s’annonçait et se confirmait. A l’heure de l’urgence économique, qui va cibler et répartir les aides au plus près des besoins locaux des entreprises ? La réponse ne va pas de soi. Le redécoupage des missions qui pourrait être décidé à l’occasion d’un remaniement des portefeuilles ministériels sera hautement révélateur des leçons tirées de la crise et de la volonté réelle d’une clarification des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales. La leçon de l’affaire des masques sera-t-elle tirée ? Cruel condensé du décalage des temps et de l’écart entre l’incantation d’un coté et l’exécution de l’autre.
Entre le commandement et la coordination de la logistique et des services. Entre la déconcentration des services et la décentralisation des compétences. Hier, trois constats accablants sur la crise s’imposaient : la France du « quoiqu’il en coûte » fait partie des cinq pays européens au taux de mortalité le plus élevé, des cinq pays avec le taux de dépense de santé le plus élevé, et des cinq pays où la récession anticipée pour 2020 serait la plus forte. Quelles perspectives pour demain ? La France, premier pays à redresser son économie ? Premier à relancer l’emploi ? En pointe pour réarmer son système de soins afin d’affronter un éventuel retour de la pandémie ? Ce serait un scénario logique. L’ampleur des moyens de protection mobilisés pendant les cinquante cinq jours de confinement devrait théoriquement nous permettre de rebondir plus vite et plus fort que d’autres.
Le test grandeur nature est là, devant nous. A défaut, les centaines de milliards débloqués contre le virus n’auront été qu’un coup d’épée dans l’eau. C’est maintenant qu’il est opportun de commencer à faire les comptes.