Vendredi 26 juin 2020, une quinzaine de médecins et personnels soignants cubains, en blouse blanche et avec un drapeau de Cuba, posent le pied sur le sol français, en Martinique. Cette image aurait étonné il y a à peine 3 mois ! Et pourtant, cette arrivée de renforts cubains était inéluctable quand on connaît précisément la situation de notre système de santé : des territoires entiers de la République sont en difficulté en moyens humains pour assurer une juste couverture de protection de santé.
Martinique, Guadeloupe, Guyane, Saint-Pierreet- Miquelon, Mayotte, la Corse, et même quelques cantons de notre hexagone, sont fortement déficitaires en médecins. Mais comment Cuba en est arrivé à être ce pays qui vole au secours de dizaines d’autres dans le monde entier ? En 1959 à la révolution castriste, l’île comptait peu de médecins, pas de système structuré, un abandon important. Parmi les volontés de Fidel Castro et de Che Guevara (médecin de formation), il y avait l’enseignement gratuit pour tous et la mise en place d’un système de santé fondé sur la prévention. 60 ans plus tard, Cuba est l’un des pays au monde au nombre de médecins par habitant le plus élevé (8,2/1000 vs 3,2/1000 en France), avec un maillage territorial d’hôpitaux, de dispensaires, de centres universitaires.
En quelques années Cuba a installé un système efficace et peu coûteux rapporté aux risques encourus pour la santé humaine (rappelons que la vie dans les Caraïbes est loin d’être aussi préservée des risques sanitaires qu’en Europe : zones d’épidémie et de parasites, cyclones, humidité et chaleur, etc.). Fort de ce système et dans le cadre d’une volonté de diffusion internationale, Cuba s’est engagé à proposer les services de ces médecins à d’autres pays, dès 1963 en Algérie, soit pour gérer une crise sanitaire, soit pour aider à structurer un système de santé. C’est du soft power comme la France le fait avec la culture. Le résultat est remarquable, plus de 400.000 personnels de santé sont intervenus dans 164 pays au cours des 56 dernières années. Par ailleurs depuis plus de 20 ans, Cuba a mis en place une École Latino-américaine de Médecine (ELAM) pour former à ce jour plus de 20.000 professionnels de santé, venant de 74 pays. Aucun autre pays, à proportion de sa population, ne peut afficher de tels engagements humains. A partir de 2005 Cuba a mis en place un nouveau volet de sa politique internationale en matière de santé : la Brigade Henry Reeeve, du nom d’un général américain ayant combattu aux côtés des cubains lors de la 1ere guerre de libération de Cuba contre l’Espagne, il mourra dans les combats en 1876. Cette Brigade, forte de 1.500 personnes, a pour vocation d’intervenir en urgence sur des crises sanitaires majeures, épidémies ou catastrophes naturelles.
Elle est mobilisable rapidement, avec une efficacité remarquable par une approche organisationnelle très militaire, ils sont souvent les premiers sur place et les derniers partis. Dans le cadre de la crise Ebola cette Brigade est apparue au grand jour, saluée par l’OMS. En 2020 sa notoriété devient mondiale, engagée au coeur de la pandémie COVID- 19, intervenant dans plus de 37 pays, dont l’Italie, Andorre et maintenant la France. Cette action internationale de Cuba en matière de santé est aujourd’hui telle, que l’administration Trump a décidé de renforcer les sanctions américaines dans le cadre du blocus économique imposé par les Etats-Unis à Cuba depuis près de 60 ans. Ces sanctions toucheraient les pays qui ont fait appel à l’aide médicale cubaine. Elles s’appuient sur une campagne de diffamation contre cette politique internationale cubaine, parlant de médecins soumis à une forme d’esclavagisme. Dans le même temps, une initiative mondiale est lancée pour octroyer le prix Nobel de la Paix à cette Brigade Henry Reeve. Cette initiative reçoit un écho très favorable en Afrique, en Asie, en Inde, en Amérique Latine.
Les chefs de gouvernements de l’OECS (Organisation des Etats de la Caraïbe Orientale) ont adopté une déclaration en ce sens. Plus de 60 ans après avoir fait le choix d’une politique de santé novatrice, celle-ci s’avère, pour le Cuba de Fidel Castro, un formidable outil de géo-politique, plaçant d’un côté les États-Unis et quelques pays alliés, de l’autre les puissances montantes et les pays les plus pauvres. Dans ce bras de fer diplomatique, que fera l’Europe qui a eu droit à son prix Nobel de la Paix pour MSF International en 1999 ?