Les heures qui viennent pourraient voir le gouvernement Castex recréer un haut commissariat au Plan. Pour tous ceux qui comme moi se plaignent depuis des années de l’absence d’un État stratège, de la dispersion des moyens de réflexion de l’Administration, de l’impréparation de notre Nation à affronter les défis qui lui font face, cette petite musique sonne de façon sympathique à nos oreilles.
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la France, bien que faisant partie du camp des vainqueurs, était particulièrement affaiblie. Une partie de notre pays était détruit, nos infrastructures en état de ruine, notre économie était en situation de grande faiblesse. C’est dans ce contexte que Jean Monnet réussit à convaincre le Général de Gaulle en 1946 qu’il fallait créer un Commissariat Général au Plan pour répondre à une situation d’extrême urgence économique, sociale et politique.
L’idée était alors de définir et de coordonner les grandes priorités pour redresser et moderniser rapidement le pays. Contrairement à l’image trop souvent répandue, la création de ce Commissariat Général au Plan n’était pas un pur exercice technocratique et jacobin centré sur l’appareil de l’Etat. Il s’agissait au contraire aux yeux de Jean Monnet, inspiré par le keynésianisme naissant aux États-Unis, d’en faire un grand moment de rassemblement autour des objectifs fixés en concertation entre les forces vives de la Nation. Ainsi les commissions de modernisation du Plan Monnet réunissaient elles, syndicats, chefs d’entreprise, experts et hauts-fonctionnaires de l’administration. Les résultats furent au rendez-vous et les objectifs atteints dans leur ensemble. La suppression du Commissariat Général au Plan 60 ans plus tard et sa transformation en Centre d’analyse stratégique, puis en France Stratégie en 2013, manifesteront la soumission de l’Etat au libéralisme économique, à la mondialisation, à l’instantané.
Le “Gouverner, c’est prévoir” d’Adolphe Thiers s’efface ainsi au profit du “Gouverner, c’est gérer“ des écoles d’Administration ou de Commerce. Le ministère de l’industrie disparaît, les organisations syndicales et patronales sont renvoyées à la fausse gestion paritaire des organismes sociaux, l’Etat devient petit à petit aveugle et sacrifie les ambitions de souveraineté stratégique sur l’autel d’une mondialisation subie où ennemis et alliés profitent de l’aubaine d’une économie désarmée. La crise de la COVID-19 interpelle l’Etat dans ce qu’il a de plus profond. L’appareil administratif a subi un choc qu’il n’avait pu anticiper, l’économie s’est brutalement arrêtée et peine à redémarrer, les citoyens ont vu s’accroître leurs doutes sur leurs institutions et la parole publique. S’il y a quelques mois en arrière d’aucun avait des doutes sur les besoins d’État dans notre société, non pas un État tentaculaire et étouffant, non pas un État inhibant et bureaucratique, non pas un État jacobin et hermétique au dialogue social, tout le monde paraît aujourd’hui convaincu de la nécessité de retrouver un État fondateur. L’État dont nous avons besoin doit être éclairé, informé, capable d’anticiper et de se préparer.
L’État dont nous avons besoin doit être capable de consulter, de travailler avec les organisations syndicales, les entreprises, les associations. L’État que l’après-COVID impose est un État capable de réfléchir et de choisir la société que nous voulons pour nous et nos enfants, dans sa dimension productive, mais aussi dans sa dimension protectrice, de l’environnement, de nos libertés individuelles, des plus faibles. Chacun de ces éléments renvoie à un État ouvert, girondin, adepte du dialogue social et fondamentalement démocratique. Les choix qui nous incombent ne peuvent être ceux d’une minorité, de quelques experts, de citoyens tirés au sort ou d’administrations parfois déconnectées du terrain.
Le retour d’un haut commissariat au Plan doit permettre de remettre, au coeur de l’Etat stratège, l’outil que Jean Monnet appelait de ces voeux et qui face à l’urgence économique, sociale et climatique apparaît plus que jamais nécessaire