C’est aujourd’hui un truisme d’évoquer pesamment la complexité des crises internationales quand on observe le nombre de celles qui restent irrésolues. Or, les principaux acteurs étatiques et/ou multinationaux sur lesquels reposent la gestion de ces crises en sont souvent des facteurs aggravants en raison des travers quasi pavloviens qu’ils ont développés : ce sont les 5 péchés capitaux de la gestion de crise.
Le premier d’entre eux est une forme de syndrome du ‘’prêt à porter’’ qui consiste à plaquer sur les crises, quelles qu’elles soient, où qu’elles soient, des solutions toutes faites, le plus souvent importées de crises passées, qu’elles aient été d’ailleurs résolues ou non par ce truchement. Nous avons tendance à vouloir agir en Libye comme en Somalie, en Centrafrique comme au Mali, au Yémen comme en Irak. Or, chaque crise a un code génétique spécifique irréductible de ces solutions génériques.
Il nous faut donc préférer le ‘’sur-mesure’’ au ‘’prêt à porter’’, ce qui suppose que nous prenions le temps de comprendre la crise et de l’apprendre dans sa complexité historique, politique et sociétale. La deuxième erreur est cette fascination militaro-sécuritaire qui conduit à n’observer une crise et à ne mesurer son évolution, que l’oeil rivé sur le microscope de l’action militaire. Or, si le recours à la force armée permet de rééquilibrer les rapports de forces, de retarder l’acmé d’une crise, d’en affaiblir les protagonistes, elle ne permet jamais, seule, de la résoudre. Les embrasements de violence auxquels nous sommes confrontés sont rarement à l’origine des crises mais en sont plutôt la conséquence…
La logique voudrait que l’on aille d’emblée aux racines de la crise pour agir sur l’ensemble des leviers qui l’ont déclenchée et l’alimentent, sans se laisser obséder par la seule approche militaire et sécuritaire. Notre troisième péché capital est probablement d’ignorer, nolens volens, dans ‘’la grammaire des crises’’, la règle de ‘’l’inconcordance des temps’’. En effet, le temps médiatique diffère du temps militaire, du temps politique, du temps diplomatique et plus encore du temps de la reconstruction d’un pays. Or, souvent, nous prenons insuffisamment en compte les délais qu’exige la résolution d’une crise, dès lors que la violence s’y est installée et que les populations s’y entredéchirent. Ce temps ne se mesure ni avec un chronomètre, ni avec un sablier, ni même avec un calendrier des saisons mais presque à coups de décades et pour des résultats mitigés, le plus souvent.
Le quatrième péché est de considérer les crises que l’on voit émerger un peu partout dans le monde et singulièrement celles liées à la question de l’extrémisme violent comme des phénomènes cloisonnés et de penser qu’en les résolvant successivement, nous apporterons une réponse à la crise globale. Or, chaque crise interagit sur une autre, le centre de gravité de chaque tumeur peut migrer géographiquement dans l’espace physique ou immatériel et muter génétiquement. Aussi, ne devons-nous pas considérer ces phénomènes comme une somme de crises mais bien comme un système de crises. Et il nous faut donc apporter une réponse ‘’système’’, globale et englobante….
Le cinquième et dernier de ces péchés capitaux que nous avons tendance à commettre est d’agir le plus souvent sous le coup de l’émotion, sous la pression des médias et de l’opinion publique et dans la précipitation, dans cette forme de dérationalisation des décisions politiques dans laquelle nous croyons que le poids des mots suffit à stopper la violence.
Finalement, de préférer une réponse médiatique plutôt qu’un effet stratégique… C’est pourquoi et sans pour autant être certain que ces crises soient réglables tel que nous l’imaginons, il nous faut, pour le moins, montrer de la lucidité sur nos capacités à endiguer puis à résoudre ces crises d’un nouveau genre ; faire preuve de pragmatisme dans les objectifs que nous nous fixons ; enfin montrer de la patience pour laisser à notre stratégie le temps de produire ses effets.