En cette période de convalescence où le virus circule encore mais semble se faire moins virulent, où l’activité reprend mais sur un tempo estival, l’heure est à la reconstruction et les chefs d’entreprise se prêtent volontiers à l’exercice, parfois un peu convenu mais souvent révélateur, de leur vision du monde d’après, de la façon dont leur entreprise s’y adaptera.
Après le stress du confinement et avant la rentrée de septembre qui marquera la véritable reprise, un premier bilan et une mise en perspective ne sont pas inutiles, pour rassembler les troupes, pour rassurer les investisseurs. Aussi près d’une centaine d’entre eux ont-ils accepté de s’exprimer publiquement sur le sujet dans plusieurs publications, dont Wansquare et Investir, avec à la clé trois conclusions principales. Première conclusion, le confinement a été pour la quasi-totalité des entreprises concernées un « test grandeur nature de la capacité de réactivité et de résilience de leur entreprise » (Patrice Caine-Thalès). « Pour la première fois dans l’histoire, les coiffeurs du monde entier ont fermé leur porte, tout comme les parfumeries, les grands magasins ou les boutiques d’aéroport » (Jean-Paul Agon – L’Oréal). Ce qui paraissait exclu est pourtant devenu réalité. A dix ans d’intervalle, le cygne noir revient. Un événement improbable bouleverse le jeu des prévisions et impose dans l’urgence une reconfiguration de l’ensemble des process, une nouvelle organisation du travail.
Ce test, pour certains s’est révélé indiscutablement positif. Les télécoms et services informatiques ont démontré leur capacité à maintenir et développer les liens indispensables pour préserver une cohésion et des interactions mises à mal par le confinement et l’isolement. La distribution agro-alimentaire et la chaîne logistique qui l’accompagnent ont fait la preuve de leur capacité à assurer la continuité de leur services dans un environnement dégradé. Pour d’autres au contraire, transport aérien, culture, spectacles, tous secteurs condamnés à l’inactivité, l’incertitude demeure et les chefs d’entreprises s’efforcent de la lever. « Quand vous naviguez en territoire inconnu, il est clé d’accompagner et de rassurer les équipes » (Sébastien Bazin – Accor). Il existe une vie après le Covid. A nous chefs d’entreprises de l’inventer et de convaincre. Deuxième conclusion. Au même titre que Mai 1968 ou Mai 1981, le confinement restera comme un moment fondateur, avec un avant et un après. Le monde d’après n’est pas qu’une fiction et sera en partie différent du monde d’avant.
Les problèmes qui mobilisaient hier, le Brexit, la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis, la réforme des retraites, les déficits publics, la croissance de la dette, n’ont pas disparu pour autant et continueront à se poser mais la crise induit « une déformation des fonctions d’utilité collective » (Denis Kessler – Scor), une repondération des objectifs fondamentaux, une réévaluation des priorités. La crise se décline d’abord en une succession de mesures d’urgence en différents domaines, sanitaire en premier lieu, puis économique et social, et enfin financier et politique. L’urgence répétée aboutit à une sous-pondération de tout ce qui n’en relève pas et les conséquences négatives apparaissent sous-estimées, ignorées, occultées. Les chefs d’entreprise n’échappent pas à la règle et leur priorité est au court terme. L’arbitrage entre le court terme et le long terme évolue en faveur du temps court.
Le monde d’après existe mais il attendra tout de même un peu, le temps que soient résolues les urgences. Troisième conclusion, la plus incertaine, a trait à la place de l’Etat. La demande d’Etat va se renforçant et les chefs d’entreprise y participent ardemment. Le cycle du désengagement de l’Etat est parvenu à son terme. Les pouvoirs publics n’ont jamais été aussi sollicités et ils répondent avec diligence à toutes les demandes d’intervention et de soutien. Mais une fois la demande formulée et presque toujours satisfaite, une question demeure. De quelles ressources, notamment financières, l’Etat dispose-t-il effectivement ? A cette question, certains, faisant écho au « Quoi qu’il en coûte » n’hésitent pas à répondre, illimitées. D’autres continuent à s’interroger. « La BCE va irréversiblement acheter les dettes publiques émises à cause de la crise du Covid. En conséquence, les dettes publiques sont de fait annulées. Les banques centrales reversant leurs profits aux Etats, elles sont gratuites et n’auront jamais à être remboursées. Il n’y a donc pas de dette publique qui nécessiterait une hausse des impôts ou ferait courir un risque de crise. » (Patrick Artus – Natixis) Même s’ils s’accordent à reconnaître que les normes du traité de Maastricht ont volé définitivement en éclat, certains chefs d’entreprises doutent encore de la pérennité et la durabilité de ce mode inédit de financement de l’Etat.
Surtout ils s’interrogent sur la bonne façon d’appréhender et de gérer ce qu’il est convenu d’appeler « la nouvelle normalité ». Si les ressources de l’Etat sont illimitées, pourquoi se limiter ? Au nom de quel impératif va-t-on convaincre le corps social de maîtriser tant les déficits que la création monétaire ? « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites ! » affirmait Alfred Jarry. Heureusement la question ne concerne que l’Etat. Les entreprises quant à elles sont toujours censées devoir rembourser leurs dettes et cela évite à leurs chefs de se poser des questions inutiles.