Les ministres des Finances du G20 ont adopté le 15 avril 2020 l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD). Elle bénéficiera à 76 pays, dont une quarantaine située en Afrique subsaharienne, et devrait potentiellement libérer 14 milliards de dollars. Le moratoire durera jusqu’à la fin de 2020 et la question d’une éventuelle prolongation sera examinée d’ici la fin de l’année.
La France y est favorable. La mesure est décidée « au cas par cas ». Elle est complémentaire à d’autres décisions, notamment du FMI et de la Banque mondiale qui détiennent de leur côté 27 % de la dette publique extérieure africaine. À la suite de la décision du G20, un débat s’est ouvert sur le continent africain. Certains, à l’instar du Sénégal, trouvaient bienvenue la mesure car elle permettrait de dégager des marges de manoeuvre budgétaires pour des dépenses essentielles, notamment celles associées à la lutte contre la pandémie. D’autres, notamment du côté du Bénin, estimaient que la mesure serait assimilée à un défaut de paiement et, qu’il pourrait avoir des effets pervers à terme : effondrement du classement des agences de notation, éviction des marchés, intervention de fonds vautours, etc. Une pointe de fierté nationale ne manqua pas d’être ajoutée aux arguments des seconds, leur donnant un appui inconditionnel sur les réseaux sociaux. On peut ajouter qu’un allègement de dettes pose des questions d’équité : n’est-ce pas encourager le vice en favorisant ceux qui gèrent mal leurs affaires par rapport à d’autres plus prudents ? Dans les faits, l’affaire est plus complexe qu’elle ne l’était il y a 20 ans lorsque fut décidé un allègement très significatif de la dette africaine (l’initiative Pays Pauvres Très Endettés-PPTE) de 1996, améliorée en 1999. Le rôle du Club de Paris est nettement moindre que par le passé.
En effet, aujourd’hui, la dette est tant publique que privée. Ces dernières années, 21 pays africains ont émis des euro-obligations pour des montants qui sont passées de 2,5 milliards de dollars en 2010 à plus de 50 milliards de dollars en 2020. Ces dettes sont détenues par une multitude d’investisseurs (gestionnaires d’actifs, des fonds de pension, des banques privées ou des assureurs) pour lesquels une annulation de dette peut difficilement être négociée compte tenu de leur caractère d’actif financier, orienté vers la rentabilité. De plus, coordonner un nombre important de détenteurs d’obligations privées est plus complexe que de coordonner les prêteurs publics. Autre différence avec la fin des années 1990, les créanciers ne sont plus seulement les pays de l’OCDE mais aussi la Chine, avec au moins un tiers de la dette. Si ce pays a accepté le principe de participer à l’ISSD, on ne sait pas comment les conditions du club de Paris seront appliquées. La Chine préfère toujours faire cavalier seul dans ses relations avec le continent ou éventuellement traiter les problèmes via un club de pays émergents non alignés sur les principes de l’Occident. Derrière le débat africain – pour ou contre -, il y en a un autre : quoi faire des sommes en jeu et quelles mesures prendre pour qu’elle soit employée pour des actions d’urgence. Les créanciers ont une réponse : la conditionnalité. L’espace budgétaire créé devra servir à augmenter les dépenses sociales, sanitaires ou économiques en réponse à la crise. Conditionnalité ! Le vilain mot. Mais s’il est employé par les mouvements démocratiques qui, ici et là, émergent avec force dans tout le continent, de Dakar à Accra, de Kinshasa à Brazzaville, alors il prend un autre sens : celui de la redevabilité des États concernés envers non pas les créanciers, mais envers leur population. On voit déjà des « patriotes constitutionnels » qui instaurent une démocratie interactive mettant en place des dispositifs permanents d’information, de consultation et de contrôle.
Les initiatives sont encore brouillonnes mais elles sont pugnaces, construites sur des désirs d’avenir face à l’étroitesse des options politiques ouvertes. Elles formulent des demandes de responsabilités décentralisées et de redevabilité accrue de la part des élus. Ceux-ci se trouvent désormais confrontés à l’existence d’un flux d’informations qui donne aux citoyens des possibilités de contrôle inégalées et, sauf à y répondre, ils prennent des risques élevés, comme on l’a vu à Bamako en août dernier, avec l’éviction manu militari d’Ibrahim Boubacar Keita.