La guerre économique est la continuation de l’économie par d’autres moyens
Le commerce adoucit les moeurs. C’est ce que pensait Montesquieu. C’est aussi ce que pensaient les pères fondateurs de l’Europe, convaincus que le développement du commerce entre pays européens leur permettrait de dépasser leurs conflits territoriaux. C’est de moins en moins ce que pensent les responsables européens, et notamment français, confrontés à une guerre économique d’intensité croissante. Jusqu’à une période récente et comme dans les années trente lors de la montée des périls, l’Europe et notamment la France, se sont voulus essentiellement pacifistes, privilégiant leurs intérêts de consommateurs par rapport à leurs intérêts de producteurs.
Pacifistes nous avons choisi la négociation multilatérale, et le compromis de préférence aux sanctions et augmentations des droits de douane. Consuméristes nous avons choisi la concurrence et les prix bas de préférence à l’émergence de champions et de pôles de regroupement. Libéraux, nous avons choisi le marché unique, la libre circulation des biens, des services et des personnes. Hormis quelques brillantes exceptions, l’Europe et la France se sont positionnées en tant que spectateur et non pas acteur, d’une guerre économique de basse intensité qui avait le mérite d’entretenir la concurrence, de favoriser la baisse des prix et de freiner la hausse des salaires Aujourd’hui, comme dans toute crise, qu’elle soit pétrolière, financière ou sanitaire, les conflits s’exacerbent, les terrains d’affrontement se multiplient, la guerre s’intensifie. Premier fait nouveau, le rapport des forces en présence s’est modifié. A une domination sans partage des Etats-Unis s’est substitué une rivalité avec la Chine, à l’issue incertaine. Second fait nouveau, ce qui était acceptable de la part des Etats-Unis sur des industries de haute technologie où l’Europe était quasiment absente, ne l’est plus de la part de la Chine sur des industries traditionnelles et des produits de première nécessité, avec pour conséquence des fermetures de sites, des licenciements sur des territoires déshérités, des risques de pénurie sur des produits de première nécessité. Impactée par la montée en puissance de la Chine, marginalisée par la rivalité Etats-Unis-Chine, L’Europe est sommée par les gouvernements. Les gouvernements sont eux sommés par leurs électeurs, de faire la preuve de leur capacité, sinon à agir, du moins à protéger leur populations. L’aveu d’impuissance, « L’Etat ne peut pas tout » de Lionel Jospin, ne sont plus, s’ils n’ont jamais été, de mise.
La taille critique insuffisante, l’absence d’un marché européen des capitaux, la faiblesse des ressources publiques, la nécessité de prendre les décisions à 27, ne sont plus des arguments recevables. Volens nolens, la Commission européenne, l’Etat français sont requis de faire la preuve de leur utilité. L’heureuse surprise de cette crise sanitaire est la rapidité et l’efficacité avec laquelle, l’Europe et les Etats nationaux ont su réagir, sans mobiliser les composants traditionnels de l’arsenal de la guerre économique, droits de douane, dumping, subventions, sanctions, outils juridiques extraterritoriaux, auxquels Etats- Unis et Chine n’ont pas hésité à recourir. L’Europe, la France, avec le concours de la BCE ont su mobiliser les ressources financières nécessaires pour sauver les entreprises de la faillite, leur donner les moyens de s’engager dans des grands projets de recherche, financer une sous-activité espérée temporaire. Le naufrage de l’Etat, l’explosion de l’Union Européenne, que d’aucuns avaient annoncés, ne se sont pas produits. La leçon des atermoiements de la crise financière et des dettes souveraines ont été tirées. Sur le plan économique et financier tout au moins l’Europe et les Etats sont apparus comme des pôles de stabilité. Leur pouvoir en sortira probablement accru avec pour contrepartie une sujétion renforcée des entreprises. Le retour de l’Etat, le retour du politique dans la gestion des entreprises est probablement la contrepartie difficilement évitable de sa protection.
Comment ignorer les recommandations d’un Etat, d’une Région qui vient de vous sauver de la faillite ? En revanche de nombreuses incertitudes demeurent quant à l’ampleur, l’étendue et les formes que prendra ce retour. L’encadrement des plans sociaux, l’aide aux entreprises en difficulté, la gestion des fermetures de sites demeureront sans nul doute des invariants de l’Etat interventionniste. L’entrée au capital d’entreprises incapables de rembourser leur Prêt Garanti, la mise en oeuvre de plan sectoriels tels qu’annoncés dans les plans de relance sont des perspectives probables. La taxation effective des GAFA dont chaque membre pèse à lui seul plus lourd que l’ensemble du CAC, le rachat par un opérateur européen des pépites technologiques, telle ARM dévolue à l’américain Nvidia pour un montant de 40 milliards de dollars, apparaissent en revanche comme des objectifs hors de portée pour une Europe qui ne disposent que de moyens limités pour mener une guerre économique offensive. Les récentes discussions avec la Chine en vue d’un accord sur les investissements, le refus récent du rachat de Photonis par l’entreprise américaine Teledyne sont peut-être les signaux faibles qu’un premier rééquilibrage s’est opéré, que les entreprises françaises ou européennes pourront espérer bénéficier d’une protection qui a fait défaut à Alstom, que les créateurs de licornes potentielles auront d’autres perspectives qu’un rachat par un opérateur américains ou chinois. Maître Sun Tzu dans l’Art de la Guerre nous enseigne qu’une guerre victorieuse est fondée sur une stratégie indirecte, toute d’économie, de ruse, de connaissance de l’adversaire, d’action psychologique, destinée à ne laisser au choc que le rôle de coup de grâce asséné à un ennemi désemparé.
Les entreprises françaises et européennes ne doivent pas désespérer de leurs dirigeants. Peutêtre eux aussi ont-ils lu Maître Sun Tzu ?