Contrairement à ce que beaucoup pensent, le Mali n’a pas connu cet été un accès passager de fièvre dont auraient profité les militaires le 18 août en faisant irruption dans le champ politique. En réalité, l’État malien est depuis plus d’une quinzaine d’années entré dans une forme de décomposition rampante que personne n’a voulu regarder en face.
Tout le monde en détournait le regard – comme lorsque l’on veut éviter celui de l’indigent qui vous tend sa sébile – jusqu’au moment où la population malienne a pacifiquement fait trembler le régime sur ses bases puis l’a fait s’effondrer. Car c’est une réalité, l’État malien n’existait plus après Ségou[1] : chaque jour en moyenne, deux Maliens meurent de mort violente dans ce pays ; l’accès à l’eau, à l’électricité, à l’éducation et aux soins est hors de portée d’une part grandissante de la population. En parallèle, le chômage croît chaque jour un peu plus et laisse une jeunesse, toujours plus nombreuse, désoeuvrée et désabusée. Elle devient une proie facile pour les extrémistes en tout genre, à commencer par les islamistes. Un jeune adulte à Bamako se bat chaque jour pour se procurer 500 FCA, le minimum pour survivre ; c’est-à-dire 80 centimes de nos Euros pour se nourrir une journée ! Pendant ce temps-là, un réseau mafieux qui s’était insinué et superposé à l’État avait mis les ressources du pays en coupe réglée ; celles qu’il produisait et les aides qu’il recevait. Il y a toujours des moments où la différence entre le train de vie de la nomenklatura et la précarité de la population dont l’obsession unique est sa survie devient insupportable.
Ce n’est pas tant la pauvreté qui crée la misère, c’est le plus souvent l’inégalité des conditions. Mais cette fois au Mali, ce n’est pas un coup d’État comme l’Afrique en a connu une soixantaine depuis les Indépendances. Ce ne sont pas les ‘’bérets verts’’ qui prennent la place des ‘’bérets rouges’’ ou encore un clan qui en chasse un autre pour profiter à son tour des prébendes que l’on peut tirer du pouvoir. C’est le peuple malien tout entier qui a crié son désespoir et qui veut écrire une autre histoire du Mali. Et le chantier est colossal : constitutionnel, sécuritaire, économique, moral, social, etc. Derrière ces enjeux, il y a également la stabilité de toute la zone sahélienne, voire de toute l’Afrique de l’ouest qui ne peut s’accommoder d’un État fantoche qui abriterait tous les trafics, toutes les idéologies et concentrerait toutes les frustrations. C’est pour cela que la communauté internationale sans céder en rien en exigence et en vigilance doit prendre le risque de laisser une chance et du temps à cette ambition populaire. Car s’acharner sur le torrent malien pour le faire rentrer précipitamment dans le lit d’une pseudo démocratie qui n’a produit jusqu’ici que la misère n’a pas de sens. Au contraire, une telle attitude prête le flanc à un procès en incohérence et en inconstance, surtout quand la démocratie est mystifiée à quelques encablures de là.
Et dans les 18 mois qui viennent, cette ambition doit se traduire par 5 objectifs dont l’énoncé est aussi simple que leur mise en oeuvre s’annonce ardue : 1) Établir les fondements constitutionnels d’un système politique qui conviennent aux Maliens ; 2) prendre l’ascendant dans le combat contre le terrorisme et s’affranchir progressivement de ses soutiens extérieurs si souvent et complaisamment critiqués ; 3) remettre les accords d’Alger sur un chemin critique ; 4) créer les conditions législatives, économiques et psychologiques à la création de richesses et d’emplois au Mali ; 5) préparer des élections irréprochables. Le Mali est classé 182ième sur 188 en matière d’indice de développement humain et le revenu journalier par habitant y est de 2 €. Y parviendra-t-il ? Pas sans l’appui de la communauté internationale et du secteur privé.
« Rien ne s’achève dans le mensonge. » (proverbe malien)