Le terrorisme de type djihadiste en Afrique semblait jusqu’à présent circonscrit au Sahel et à d’autres foyers endémiques comme le Nigéria ou la Somalie. Depuis plusieurs mois, un nouveau front est apparu sur le versant est du continent, plus précisément au Mozambique, qui ne cesse de grossir en débordant désormais sur la Tanzanie. Son mode d’expression ne diverge pas de ce qui est observé ailleurs.
Il souligne l’installation durable d’un groupe affilié à l’Etat islamique (EI) dans la province de Cabo Delgado à l’extrême nord du pays. Centre névralgique des attaques, cette région déshéritée à majorité musulmane mais comprenant des enclaves chrétiennes à l’image de la zone de Makomdé, vit au rythme des actions ultra-violentes d’Ahlu Sunna wal Jamaa. Si ce groupe dont le nom se traduit par « les adeptes de la tradition du Prophète » n’a pas de lien direct avec les Al-Shababs somaliennes, il est cependant clairement affilié à l’EI avec un mode opératoire semblable, par le niveau de terreur, à celui de Boko Haram au Nigéria : attaques éclaires ; villages rasés ; exécutions ; enlèvements, notamment de jeunes filles ; églises et mosquées incendiées ; imposition de la charia aux populations locales. Depuis 2018 le rythme des attaques ne désemplit pas dans cette région riche en hydrocarbures longtemps ignorée par le pouvoir central de Maputo. Selon l’Organisation des Nations unies (Onu), ces dernières ont déjà fait plus de 2000 victimes et occasionné le déplacement de 400.000 réfugiés intérieurs. Les djihadistes ont renforcé leur position par des opérations de plus en plus spectaculaires. En août dernier, ils se sont emparés de Mocimboa da Praia, principale ville de cette province, située à l’embouchure de la rivière Mazuma, tout en mettant parallèlement la main sur son port. Or cette infrastructure est hautement stratégique. Elle doit accompagner la future exploitation de gaz naturel présent dans la zone, projet impliquant plusieurs multinationales dont le Français Total, l’Américain Exxon-Mobil ou encore l’Italien ENI. Grâce à ce gisement dont les réserves sont évaluées à 5000 milliards de m3, le Mozambique doit passer devant le Nigéria du point de vue de la production gazière, et se hisser au rang de hub énergétique pour cette disponibilité en GNL. Le futur champ d’exploitation ainsi que les compagnies affiliées à ce projet, le plus ambitieux à l’heure actuelle en Afrique en termes d’investissements, est d’ores et déjà sous protection.
Il en va tout autrement pour les populations. Début novembre une nouvelle attaque à Cabo Delgado, dans le district de Muidumbe, a fait une cinquantaine de tués, décapités, parmi lesquels des adolescents. Plusieurs villages ont été incendiés. La réponse des autorités locales se caractérise par sa grande faiblesse. Après avoir longtemps minimisé voire nié l’ampleur du phénomène, le président mozambicain, Filipe Nyusi, réélu en octobre 2019, n’a officiellement reconnu cette réalité qu’en avril dernier. Les effectifs armés déployés à Cabo Delgado, où le drapeau noir de l’EI flotte ostensiblement, sont notoirement insuffisants. Au lendemain de la prise de Mocimboa da Praia un sommet virtuel des chefs d’Etat des pays-membres de la South African Development Community (SADC) n’a débouché sur aucune décision concrète. Encore moins sur une intervention militaire qui aurait pu associer plusieurs pays. Celle-ci est pourtant rendue indispensable. Quelques jours avant cette réunion, la ministre mozambicaine des Affaires étrangères, Veronica Macamo, avait alerté sur une possible extension de la violence à toute l’Afrique australe si aucune réaction d’envergure n’était prise. Pour l’heure, l’organisation sous-régionale qui chapote l’Afrique australe s’illustre par la même force d’inertie que la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) dans la lutte antiterroriste au Sahel. Sur le terrain, la riposte semble d’autant plus inefficiente que les pays environnants du Mozambique sont accaparés par la lutte contre la Covid 19. Leader régional mais pays gravement touché par la pandémie, l’Afrique du Sud se concentre actuellement exclusivement sur sa situation intérieure. Dirigé par les caciques de l’omnipotent Front de libération du Mozambique (Frelimo), parti issu de la guerre civile au pouvoir depuis l’indépendance en 1975, le Mozambique en est réduit à recourir à des mercenaires ou à des sociétés privées. Le sud-africain Dyck Advisory Group ou le russe Wagner, bras armé de Moscou en Afrique déjà présent dans plusieurs pays dont la Centrafrique, sont les plus visibles. Pour sa part, l’Union européenne (UE) a répondu favorablement à l’appel de Maputo pour une aide d’urgence.
Les conditions de son soutien restent cependant à définir. Il y a plus inquiétant encore. Les actions des groupes djihadistes débordent sur la Tanzanie. En octobre, près de 300 hommes ont attaqué un poste de police dans ce pays, à Kitaya, faisant plusieurs morts. Sur son site, l’ambassade de France à Dar es-Salam rappelle le contexte de dangerosité à Cabo Delgado et la porosité de la frontière en pointant la fréquence des attaques dans ce pays anglophone souvent accompagnées d’enlèvements. Cet assaut revendiqué par l’Islamic State Central Africa Province (Iscap), pendant de l’Islamic State West Africa Province (Iswap) en Afrique de l’Ouest, souligne une connexion avec la myriade de groupes installés en République démocratique du Congo (RDC), singulièrement les Allied Democratic Forces (ADF). Plus connu sous l’appellation Madinat Tawid wa-I-Muwahidin (« la ville du monothéisme ») depuis son allégeance à l’EI en 2017, ce groupe d’obédience islamique opère notamment dans la région de Béni, au nord-est. Il a frappé pour la première fois dans l’ancien Zaïre, en avril 2019, en attaquant une caserne près de Kamango, ville frontalière avec l’Ouganda.