Burkina Faso : de l’avantage et de l’inconvénient d’un retour de Blaise Compaoré dans le jeu politique
Si Marc Roch Christian Kaboré a remporté l’élection présidentielle couplée aux législatives du 22 novembre au Burkina Faso, un autre candidat virtuel est sorti renforcé de ces scrutins : Blaise Compaoré.
Ce dernier a non seulement pesé tout au long de la campagne mais sa silhouette, telle une ombre chinoise, devrait continuer d’agiter le landerneau local dans les mois à venir. Réfugié à Abidjan depuis son renversement, fin 2014, mais bénéficiant de la nationalité ivoirienne sur les conseils de son avocat, le français Pierre Olivier Sur, pour échapper à toute demande d’extradition de la justice de son pays, l’ancien chef de l’Etat s’invite de plus en plus dans le débat public, à Ouagadougou. Loin de constituer un retour en grâce, cette agitation souligne néanmoins un changement d’état d’esprit d’une frange de l’opinion publique et l’inclination de nombreux Burkinabè qui voient dans un possible retour du tombeur de Thomas Sankara un recours face au péril terroriste, échec patent du président sortant.
Honni par un peuple dont il s’était coupé lequel se trouvait, par ailleurs, ulcéré par les frasques de son premier cercle (François Compaoré, Gilbert Diendéré, Alizéta Ouédraogo…), celui qui régna vingt-sept ans sur le « Pays des hommes intègres » réimprègne les esprits pour deux raisons. La première tient à son activisme indirect dans la campagne. Nonobstant les règles internes du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), Compaoré a influé dans la désignation d’Eddie Komboïgo pour porter les couleurs de ce parti créé, à son initiative, en 1996. Après plusieurs allers-retours à Abidjan, cet homme d’affaires a été choisi au détriment d’autres « collaborateurs » tels l’ancien premier ministre et patron de la commission de Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (Cedeao), Kadré Désiré Ouédraogo.
Alors qu’il n’avait pu briguer la présidentielle de 2015 à la suite du renversement de son mentor Eddie Komboïgo a pris la tête d’une formation remise en ordre de marche et aux objectifs clairs : affaiblir le parti majoritaire, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), mais surtout devenir la première force de l’opposition en détrônant de cette position l’Union pour le progrès et le changement (UPC) de Zéphirin Diabré, collaborateur d’Anne Lauvergeon au sein d’Orano (ex-Areva), arrivé second à la présidentielle de 2015 avec 29% des voix. Alors que le CDP disposait de 18 députés sur 127 dans la législature qui vient de s’achever, il espère dépasser la trentaine pour celle à venir. Pour ce faire, des candidats ont été présentés dans toutes les provinces du pays, une offre politique que d’autres états-majors n’ont pu aligner. En se plaçant en deuxième position à la présidentielle du 22 novembre avec plus de 15% des suffrages exprimés devant Zéphirin Diabré, le candidat du CDP a déjà rempli une partie de son contrat. Le second facteur à la revivance de Compaoré réside dans la situation sécuritaire catastrophique que connaît le Burkina Faso.
Au lendemain de son élection il y a cinq ans, Roch Marc Christian Kaboré avait récupéré un pays à genoux. Victimes des corporatismes entre les différentes armées et des profonds antagonismes entre pro et anti-Compaoré, la chaîne de commandement militaire tout comme le dispositif de défense nationale s’étaient totalement effondrés après la fuite de l’ex-chef de l’Etat. Banquier de formation sans culture militaire, Kaboré a accentué cette fragilité en tenant à distance de nombreux officiers supérieurs expérimentés mais jugés comme des affidés au régime déchu. Méfiant il n’a nommé, durant son mandant, aucun « sécurocrate » à la tête des ministères régaliens de la défense ou de l’intérieur. De nombreuses personnalités ont par ailleurs été « neutralisées ». C’est le cas du lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, premier ministre de la transition (2014- 2015), actuellement exilé et sous le coup d’un mandat d’arrêt. Figures militaires proches de Compaoré le général Gilbert Diendéré, ex-chef d’Etat-major, ou le général Djibril Bassolé, qui fut ministre de l’administration territoriale, ont été condamnés l’an dernier dans le dossier lié au coup d’Etat du 16 septembre 2015.
Une affaire dans laquelle plusieurs dizaines d’officiers ont comparu. Autre « expert », le colonel Auguste Denise Barry doit, quant à lui, répondre d’une tentative de putsch en 2017. Cet affaissement global et la désorganisation consécutive des forces armées ont largement profité aux groupes djihadistes proliférant dans la sous-région et rangés sous la bannière des deux internationales djihadistes : Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ainsi que l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Quelques mois ont suffi à ces organisations et à leurs sous-traitants locaux pour s’installer dans le nord du pays, de Dori à Djibo en passant par Gorom-Gorom, ainsi que dans l’est, le long de la frontière avec le Niger, et se maintenir durablement dans ces zones. 20% du territoire national échappe actuellement à l’État. Selon les Nations unies 1800 victimes ont été recensées en 2019 du fait d’attaques terroristes contre à peine une centaine en 2016. Sans compter une capacité prouvée à frapper au coeur de Ouagadougou. La menace est quasiment devenue hors de contrôle. Deux attentats dont l’attaque d’un convoi militaire à Tin-Akoff (extrême-nord) ayant causé la mort de 14 soldats ont d’ailleurs interrompu la campagne électorale. Traumatisés par ce climat mortifère persistant, nombre de Burkinabè sont tentés de se tourner vers Compaoré et sa mouvance pour espérer retrouver l’accalmie perdue, ce dernier étant même allé jusqu’à entamer des négociations avec les groupes armés. Des initiatives qui en 2012 lui avaient valu d’être nommé par la Cédéao médiateur dans la crise malienne.
Les principales délégations de mouvements autonomistes touarègues tels le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) ou d’autres organisations qui n’avaient pas encore basculé dans le djihadisme étaient régulièrement accueillies dans la capitale burkinabè. Les connexions avec ces mêmes groupes avaient facilité la libération de plusieurs otages Occidentaux. Que tous les candidats du scrutin du 22 novembre sans exclusive aient abordé la question de la réconciliation nationale en levant le tabou du retour de Compaoré ne doit rien au hasard. La plupart des partis d’opposition est favorable à ce scénario. S’exprimant devant les chefs religieux et les autorités traditionnelles début novembre, Marc Roch Christian Kaboré est également allé dans ce sens. Ce dossier devrait donc constituer l’une des priorités de son nouveau mandat.
Ce retour ne va cependant pas de soi. Il suppose que Blaise Compaoré puisse répondre devant une justice impartiale des « affaires » emblématiques qui ont ensanglanté son régime (mort de Thomas Sankara ; assassinat du journaliste Norbert Zongo…) et des violences ayant entouré sa chute. Ce scénario s’avère également politiquement dangereux pour Kaboré car il risque de le mettre en porte à faux avec la société civile et la jeunesse burkinabè lesquelles avaient précisément, par leur mobilisation, chassé son prédécesseur tout en jouant un rôle déterminant pour le porter au pouvoir. Cette jeunesse incarnée par le Balai Citoyen du rappeur Serge Bambara alias « Smockey » verrait à n’en pas douter d’un très mauvais oeil toute forme d’amnistie ou de « petits arrangements » au sommet de l’Etat sur la question de la réconciliation nationale.