Tandis que tous les regards sont braqués sur Pfizer et Moderna, qui promettent un vaccin anti-Covid efficace à plus de 90% devant être disponible début 2021, trois acteurs chinois sont bien engagés dans la course au vaccin et conduisent actuellement la phase III de leurs essais cliniques.
Petite particularité : la Chine étant loin de compter suffisamment de personnes infectées sur son territoire, elle se voit donc contrainte de pratiquer ses tests à l’étranger. Entre accords bilatéraux pour la fourniture des vaccins, adhésion aux initiatives internationales et volonté d’occuper un terrain délaissé par les Etats-Unis de Donald Trump, une diplomatie chinoise du vaccin se dessine peu à peu.
Qui sont les acteurs chinois ?
Trois acteurs chinois ont désormais leur vaccin en phase III des essais cliniques, ce qui les place parmi les premières entreprises mondiales qui devraient parvenir à terminer les essais à la fin de l’année 2020 et débuter la commercialisation du produit début 2021.
Sinopharm, l’entreprise d’Etat
Créée en 1987, c’est la plus grande entreprise pharmaceutique de Chine, entièrement détenue par l’Etat. Elle s’est associée avec deux instituts de recherche qui sont aussi ses filiales pour développer deux vaccins différents : le Beijing Institute of Biotechnological Products, et le Wuhan Institute of Biotechnological Products. A noter : ce dernier s’est retrouvé en 2017 au coeur d’un vaste scandale sanitaire, ayant commercialisé plus de 400 000 doses de vaccins ne répondant pas aux normes sanitaires.
CanSino et Sinovac, les outsiders qui montent
CanSino Biotech Co., Ltd. est la première entreprise chinoise à développer un vaccin au printemps 2020, avec des phases I et II d’essais cliniques lancés à Wuhan dès le 16 mars et le 12 avril. L’entreprise entretient des liens étroits avec le département d’ingénierie biologique de l’académie militaire de médecine avec laquelle elle développe le vaccin. Ce dernier a d’ailleurs pu être utilisé pour vacciner des militaires chinois dès le mois de juin. Le second outsider, Sinovac Biotech Ltd.est une entreprise plus ancienne, établie en 1993 par Yin Weidong, un chercheur lié à la prestigieuse Université de Pékin. Les phases I et II des recherches ont débuté en Chine à la mi-avril 2020.
La Chine contrainte de tester à l’étranger pour trouver suffisamment de malades
Si en Chine, Sinopharm a annoncé avoir déjà vacciné près d’un million de personnes, il s’agit dans leur immense majorité de personnes saines, et les entreprises ne peuvent conduire la phase III de leurs essais cliniques si leur vaccin n’a pas été testé sur des personnes porteuses du Covid-19. Seule solution pour elles : se tourner vers l’étranger pour procéder à des vaccinations tests à grande échelle. Au total, les trois entreprises combinent une quinzaine de pays partenaires, principalement en Asie du sudest, Moyen-Orient et Amérique latine, parmi lesquels certains ont négocié des modalités spécifiques avec la Chine. Les Emirats Arabes Unis ont été le premier à donner leur accord pour la phase III du vaccin Sinopharm, testé en priorité sur le personnel médical confronté au virus.
En Indonésie, le gouvernement a négocié un accord selon lequel Sinovac s’engage à fournir à l’entreprise locale Bio Farma des vaccins en vrac pour lui permettre de produire ensuite au moins 40 millions de doses de CoronaVac avant mars 2021. La Russie a elle aussi donné son accord pour la conduite de la phase III du vaccin CanSino sur son territoire, mais à la condition qu’elle soit conduite exclusivement en collaboration avec l’entreprise NPO Petrovax Pharm. Le Maroc enfin, l’un des premier a avoir annoncé une campagne de vaccination massive, collabore avec Sinopharm pour obtenir des doses de vaccin. Ces accords garantissent donc la fourniture de vaccins ou le transfert de données/matériel permettant la production de vaccins directement dans les pays tiers en échange des tests de phase III conduits par la Chine.
Une véritable diplomatie du vaccin se met en place
Au-delà de ces tests réalisés à l’étranger, la Chine a pris le contrepied des Etats-Unis lorsque Xi Jinping a déclaré dès mai 2020 son souhait de faire des vaccins un bien public mondial. Dans la foulée, la Chine a décidé de rejoindre Covax, le mécanisme de distribution des vaccins géré par l’alliance Gavi soutenue par Bill Gates et l’OMS pour jouer un rôle dans la coopération internationale de lutte contre l’épidémie de Covid-19. La diplomatie des vaccins, dans la lignée de la diplomatie du masque déployée au printemps 2020, n’est pas sans risque pour la Chine. La question de la production va rapidement se poser de manière aiguë, car pour le moment, Sinopharm, qui possède de très loin les plus grandes capacités production des trois acteurs chinois en tête, fait état d’une capacité de 220 millions de doses par an. Il faudrait ainsi 7 ans pour vacciner l’ensemble de la seule population chinoise, comment dès lors remplir les engagements pris auprès des pays partenaires ? Tout laisse à penser que le gouvernement fera en sorte d’augmenter ces capacités pour pouvoir servir à la fois la demande intérieure et les partenaires étrangers. Il s’agit de ne pas décevoir dans un moment où l’image de la Chine à l’international apparaît comme extrêmement dégradée. En Chine même, les vaccins anti-Covid chinois jouissent d’une grande crédibilité, de très nombreuses personnes s’étant portées volontaires pour se faire vacciner lors des essais cliniques.
La population fait globalement montre d’une foi très solide en la science et en la capacité des entreprises nationales à développer des vaccins sûrs très rapidement. Des phénomènes de mécontentement populaire pourraient néanmoins apparaître si le gouvernement chinois fournit massivement des doses de vaccins à l’étranger avant que sa population ne soit complètement vaccinée. Un épisode similaire avait suscité de vives remarques de la part de nombreux citoyens chinois lorsque Xi Jinping avait annoncé un plan d’aides massives destiné à l’Afrique, ces derniers critiquant cette initiative alors que de nombreuses poches de pauvreté subsistent encore dans des régions rurales de Chine. Entre stature internationale, impératifs scientifiques et besoins domestiques, les autorités chinoises doivent trouver un juste équilibre pour tirer le meilleur parti de leur politique sanitaire.