La prochaine élection présidentielle française aura lieu dans 16 mois. Dans les métiers d’intelligence économique ou stratégique, c’est un temps ou une période où investigations et anticipations prennent du sens.
Nos clients français ou étrangers commencent à nous poser des questions autour des scénarios possibles. Que peut-il se passer ? Que doit-on anticiper ? Quelle analyse faire de la situation du moment ? Qui peut être le prochain Président de la République française ? Il n’est pas inintéressant en première approche de regarder dans le rétroviseur et de revenir à 16 mois de la précédente élection présidentielle, décembre 2015, pour voir quelle était la photographie de la situation de la France. Quelques semaines auparavant, 130 personnes étaient assassinées à Paris à la suite d’attentats meurtriers dont celui du Bataclan. Les travaux de la COP21 venaient de s’achever.
Les élections régionales du 6 et 13 décembre étaient marquées par le score impressionnant au premier tour du Front National, premier parti de France avec 27,7 % des voix et un deuxième tour où le FN ne parvenait pas à transformer l’essai, incapable de gagner une seule région. La droite républicaine remportait un beau succès ( 7 régions dont la prise de l’Ile de France gouvernée depuis 18 ans par la gauche), la gauche n’en conservant que 5 en France Métropolitaine. La cote de popularité de François Hollande était de 35% le 1er décembre, boostée par les attentats de Novembre, celle du Premier ministre, Manuel Valls de 43%. Le 23 décembre, le même Manuel Valls annonçait que le gouvernement avait décidé de soumettre au Parlement l’extension de la déchéance de nationalité à tous les binationaux terroristes (et non plus aux seuls naturalisés de moins de 15 ans) et la tenue d’un débat pour le mois de février suivant.
Bien évidemment personne n’anticipait que François Hollande pourrait ne pas être candidat et qu’un certain Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique pourrait le devenir ( 47% d’opinions favorables). A droite Alain Juppé surfait sur une vague d’opinions favorables de plus de 60%, suivi un peu plus loin par Raffarin et Fillon (plus de 50% d’opinions favorables). Énoncé ainsi, ce rapide retour en arrière nous conduit à une grande forme d’humilité dans l’anticipation. Le temps politique est très mouvant, beaucoup plus en tout cas que celui de l’industrie, de l’investissement, des affaires. Appliqué au champ politique, l’intelligence stratégique est donc plus complexe. Les élections régionales de décembre 2015 avaient été pourtant un moment important pour mesurer les rapports de force politique. C’est beaucoup plus difficile de le faire aujourd’hui puisque, en raison de la crise sanitaire, le scrutin a été repoussé au mois de juin 2021. Ce scrutin permettra de tester plusieurs points importants pour 2022.
Le Rassemblement National restera t’il à un niveau aussi élevé qu’il y a 5 ans ? On peut supposer que oui, nourri par la crise des Gilets Jaunes, la contestation des politiques publiques mises en place face à la crise sanitaire, un contexte sécuritaire source de multiples contestations. N’oublions pas non plus que les 16 derniers mois de la Présidence Macron se dérouleront dans un contexte de récession économique et de crise sociale majeure propice aux votes de rejet. Le cordon sanitaire mis en oeuvre en 2015 par les formations politiques pour empêcher l’accession au pouvoir régional du Front National sera-t-il de nouveau au rendez-vous ? A l’époque, cela n’avait pas ressemblé du tout à un front républicain, mais s’était révélé efficace par le retrait de liste chaque fois que le danger menaçait. Gauche, Droite républicaine et LREM sontils partis pour reproduire un tel schéma ? Il est trop tôt pour le dire et c’est un élément évidemment fondamental de ce qui peut se passer en 2022.
La droite républicaine a été vampirisée par Emmanuel Macron depuis son élection. Peut-elle retrouver de l’oxygène et ses leaders avec elle ? L’élection régionale peut lui permettre de conserver ses positions. On scrutera notamment l’Ile-de-France et les Hauts-de-France. Valérie Pécresse et Xavier Bertrand réélus ou battus, ce n’est pas la même chose pour la suite des événements. Il reste que même si la droite républicaine obtient de bons résultats aux élections régionales de juin 2021, celui-ci ne lui garantit pas le succès à la Présidentielle tant son espace politique est restreint au niveau national par Emmanuel Macron par le double effet du casting gouvernemental et d’une politique plutôt libérale .
Emmanuel Macron peut-il compter sur LREM ? Il est difficile de répondre positivement à cette question. LREM collectionne les échecs aux élections locales. Après une déroute aux élections municipales, le scrutin régional ne s’annonce pas meilleur. Il semble que la stratégie retenue par le mouvement soit de présenter des listes autonomes dans chaque région et de les maintenir au second tour chaque fois que ce sera possible. Ce principe résistera-t-il aux données politiques locales et au risque de victoire ici ou là du Rassemblement National ? Il est encore un peu tôt pour le dire. LREM aimerait surtout éviter de faire des alliances à géométrie variable suivant les Régions pour ne pas trop brouiller son image. Emmanuel Macron ne peut donc guère compter sur le parti présidentiel. Il s’est, semble-t-il, fait une raison et poursuit plutôt une stratégie hors parti qui l’avait plutôt servi en 2017. La gauche peut-elle se remettre en position de gagner l’élection présidentielle à l’occasion du scrutin régional ? Sous fond de crise sociale et de prise de conscience forte des défis écologiques, ce sera en tout cas l’occasion pour la gauche de trouver ou non des chemins d’alliance.
L’exemple réussi du Printemps marseillais aux dernières municipales ou l’alliance PS-Verts à Paris autour d’Anne Hidalgo peuvent trouver un prolongement aux élections régionales. Un succès de cette ligne stratégique par exemple en Ile-de-France autour d’Audrey Pulvar serait un signal important qui pourrait préfigurer à gauche la préparation de la Présidentielle de 2022 et lui donner du coup toutes ses chances. Anticiper ce qui peut se passer en 2022, c’est enfin se poser la question de savoir autour de quelles thématiques le débat national pourrait s’organiser. Là encore les choses peuvent évoluer mais au moment où nous parlons, on peut envisager quelques pistes.
La toile de fond sera, on l’a dit, la crise économique avec son cortège de chômage, d’exclusions, de difficultés pour beaucoup d‘entreprises, d’endettement de notre pays, de soutien à l’activité. On peut, sans nul doute, y ajouter un audit populaire et transparent des politiques publiques de gestion de la crise sanitaire. Sur tous ces sujets, le Président Macron sera sur la défensive ce qui ne signifie pas qu’il ne soit pas capable de se défendre efficacement en dénonçant le manque de crédibilité de ses adversaires . La discussion sur le modèle de société sera sans doute plus présent que lors de la précédente élection. Le monde d’après, la convention citoyenne, la lutte contre le réchauffement climatique, la contestation de la 5G et plus largement du progrès technologique, ont fait naître des débats qui vont à coup sûr se poursuivre.
Les marqueurs avancés par le Président Macron sur le refus de la société Amish tournant le dos au Progrès ou sur l’importance de la filière nucléaire pour une économie autonome et décarbonée sont intéressants et pourraient être l’occasion de clivages politiques lors de la Présidentielle. Enfin les thèmes de l’autorité, de la cohésion et de l’identité républicaine versus le séparatisme, de la sécurité, des politiques migratoires resteront fortement présents comme ils le sont déjà aujourd’hui. La force du Rassemblement national sur ces sujets, le succès littéraire et médiatique du Général de Villiers, les initiatives plus ou moins heureuses du tandem Macron /Darmanin montrent la résilience de ces sujets dans le débat national. En conclusion que peut on dire ? Le casting de 2022 est loin d’être clair. Autour d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, bien des choses peuvent se passer et des visages nouveaux apparaître dans un zapping politique de plus en prisé par les français. L’exemple de 2017 est là pour nous le rappeler.
Si Emmanuel Macron laisse peu d’espace et peu d’oxygène à la droite républicaine, le danger pour lui pourrait venir d’un “Printemps Français “ à la mode marseillaise qui n’est pas encore totalement esquissé mais qui paraît possible et pourrait dès lors le menacer au premier tour de l’élection. Le contexte économique et social de 2022 jouera un rôle prépondérant et c’est sans doute la principale menace pour Emmanuel Macron.