En Chine, peu d’illusion à la suite de l’élection de Joe Biden à la maison blanche
Après Trump, la Chine aspire à une relation plus apaisée avec Biden…
Les trois semaines qui ont séparé le résultat du scrutin présidentiel américain et les félicitations officielles du Président chinois Xi Jinping ont agité bien des commentateurs étrangers. Reprenant des formules très classiques de félicitations, tandis que Donald Trump montrait les premiers signes d’acceptation de sa défaite, le message de Xi Jinping insistait sur “la promotion de relations stables et saines entre la Chine et les Etats-Unis”, qui, en plus d’engager les deux pays, “répond également aux attentes de la communauté internationale”. Le 7 décembre, le ministre des affaires étrangères chinois Wang Yi a creusé ce sillon en appelant à une reprise du dialogue et à rétablissement des liens entre Pékin et Washington après des mois d’une animosité grandissante, tandis que Joe Biden est en train de former son équipe dirigeante.
Parmi les pistes évoquées par Wang pour une amélioration des relations entre les deux pays, on retrouve notamment le renforcement des communications à tous les niveaux et le développement de nouveaux domaines de coopération, notamment dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. Wang a également vivement déploré la “mentalité dépassée de guerre froide et les préjugés idéologiques” incarnés par plusieurs décisions politiques de l’administration Trump, et au coeur de la détérioration des relations bilatérales. “S’engager dans un endiguement global contre la Chine, et même plaider pour un découplage et une ‘nouvelle guerre froide’, c’est faire une erreur historique et stratégique”. Le ministre a par ailleurs à nouveau insisté sur le sacro-saint principe chinois de non-ingérence dans les affaires intérieures, signifiant que les opinions américaines sur les sujets litigieux tels que la politique chinoise au Xinjiang et en mer de Chine méridionale, n’étaient pas les bienvenues.
…mais anticipe un glissement vers le domaine politique des tensions commerciales actuelles
Moins politiquement correct, le doyen de l’institut des relations internationales de la prestigieuse université Tsinghua de Pékin, Yan Xuetong, livre une analyse plus crue de la réalité. La Chine, explique-t-il, doit cesser la “pensée de l’espérance» au sujet de l’administration Biden, et définit clairement la nature de la relation bilatérale comme fondée sur la compétition. Pour lui, la décennie qui s’annonce sera celle d’une “paix précaire”, caractérisée par une rivalité féroce entre les deux puissances.
“L’imprévisibilité sera la caractéristique de base des prochaines années. Le monde sera sans aucun doute plus chaotique.” Yan enfonce le clou en affirmant qu’il n’est en rien optimiste concernant la politique chinoise du président américain nouvellement élu, il parie sur un virage d’une guerre commerciale à des frictions dans le domaine politique, sans perte d’intensité dans les conflits opposant les deux pays. “Biden va adopter une approche multilatérale et la pression sur la Chine ira plus crescendo que decrescendo”, et il ajoute que les droits humains et autres valeurs idéologiques constituent des objectifs en eux-mêmes pour Biden et les démocrates, alors qu’ils étaient plus vus comme des outils au service d’intérêts géopolitiques pour Trump et les républicains. “[Biden] adoptera une ligne plus dure et investira davantage de ressources dans ces sujets, ce qui provoquera des conflits plus sérieux” affirme Yan.
La compétition pour le leadership en Asie va se poursuivre pour au moins 10 années et accroître les tensions dans la région Le sujet du leadership d’un des deux pays sur la scène internationale, au coeur des relations bilatérales, n’est évidemment pas écarté. Selon Yan, “il n’y aura pas de leader global durant les 10 prochaines années”. Alors que l’URSS et les Etats-Unis exerçaient un leadership incontesté sur leur bloc respectif, actuellement ni la Chine ni les Etats-Unis ne sont en position de pouvoir dominer la région Asie-Pacifique et n’ont pas non plus les ressources ou les capacités de maintenir l’ordre actuel. Il conclut : “les Etats-Unis ne peuvent accepter la Chine comme leur égale, alors que cette dernière l’exige. Donc une dynamique comme le leadership conjoint de la France et de l’Allemagne sur l’Europe est impossible.”
Dans une telle configuration bipolaire, termine-t-il, les tierces parties auront tendance à se positionner en équilibre entre les deux puissances, augmentant considérablement l’incertitude et questionnant la confiance parmi de nombreux alliés traditionnels. Derrière les discours officiels lénifiants, les politologues chinois semblent avoir acté que les Etats-Unis ne peuvent accepter que la Chine joue un rôle de premier rang au niveau mondial. Que les armes utilisées soient commerciales sous une administration républicaine ou politiques sous une administration démocrate, la Chine ne se fait guère d’illusion sur un changement profond des relations sino-américaines suite à l’élection de Biden