Ce premier éditorial de l’année est d’abord l’occasion pour moi de vous souhaiter au nom des équipes d’ESL Network et d’Antidox une bonne et heureuse année 2021. Nous avons l’intention de poursuivre, avec l’aide de nos experts, notre travail d’éclairage, d’approfondissements, d’analyse, de l’actualité stratégique française et internationale, des rapports de force diplomatiques, économiques et financiers, des vecteurs d’informations et d’influence numériques, en toute indépendance et avec la liberté de ton qui nous caractérisent.
Cette rentrée de janvier est l’occasion dans notre pays de nouvelles polémiques liées au démarrage de la campagne de vaccination contre la Covid-19. La lenteur de la mise en place du processus, le faible nombre de vaccinations effectuées après une dizaine de jours, comparativement à nos principaux voisins, entraînent de vigoureuses critiques de la part des médias, des figures médicales et scientifiques et de la classe politique. Notre rôle n’est évidemment pas de hurler avec les loups mais plutôt d’essayer de comprendre pourquoi après les épisodes manqués des masques, puis des tests, l’appareil de l’Etat n’a pas su tirer les leçons de ces premiers échecs.
Trois raisons principales expliquent ce nouveau faux pas : La première est tirée de la croyance des autorités sanitaires que le sentiment anti-vaccin est tellement fort dans notre pays qu’il fallait une campagne de vaccination prudente, discrète au démarrage pour convaincre progressivement les plus récalcitrants et monter ensuite lentement en puissance. Cette idée n’a pu « contaminer » la décision politique que parce que cette dernière, depuis le début de la crise sanitaire, est sous un contrôle trop exclusif du pouvoir médical et scientifique.
Le Politique, par crainte permanente d’une mise en cause de sa responsabilité, a abandonné au pouvoir des autorités de santé la définition de nos politiques publiques. Or la stratégie vaccinale n’est pas seulement médicale. Elle est un moyen de sortir le pays des mesures autoritaires et de favoriser le redémarrage des secteurs d’activités massivement frappés (tourisme, restaurations, culture,…). S’il convient bien sûr de donner la priorité vaccinale aux personnes à risque (personnes de plus de 75 ans hors EPHAD et en EPHAD, personnel soignant, personnes fragiles), le rythme vaccinal participe d’une stratégie de renaissance et de retour à un niveau d’activité pour notre pays qui doit être une priorité nationale. Sa plus ou moins grande rapidité ne peut donc pas être asservie au nombre d’ « anti- vax » que connaît notre pays.
La deuxième raison du démarrage raté de la campagne vaccinale contre la Covid n’a, elle non plus, pas grand chose à voir avec les dérives bureaucratiques supposées de notre pays mais résulte également d’un choix et d’une mauvaise analyse portés par le Ministère de la Santé et les autorités sanitaires comme le montre très bien un rapport de synthèse du think tank Terra Nova, piloté par Mélanie Heard, enseignante chercheuse au Centre de Recherches interdisciplinaires et coordonnatrice du pôle santé de Terra Nova et Thierry Pech, directeur général de Terra Nova. En 2009, lors de l’épidémie de grippe H1N1, les autorités françaises avaient privilégié une campagne de vaccination fondée sur la création de centres dédiés plutôt que sur la médecine de ville. En décembre 2020, elles ont fait le choix inverse avant de se raviser ces tout derniers jours. En cause, la lecture rétrospective des événements de 2009 attribuant l’échec de la campagne vaccinale au choix d’une vaccination collective dans des centres dédiés.
Sous l’influence de nombreux acteurs professionnels, cette interprétation erronée, formalisée en particulier dans les recommandations de la Haute autorité de santé, s’est imposée comme une vérité incontestée, orientant le Gouvernement dans une voie sans issue. Le rapport de la commission parlementaire de l’époque défendait pourtant explicitement la nécessité de centres de vaccination dédiés en cas de pandémie et pointait les différents écueils d’une stratégie fondée essentiellement sur le réseau de la médecine de ville. Le retard à l’allumage de notre campagne de vaccination résulte bien aussi de ces hésitations et ces mauvaises analyses.
La troisième raison du démarrage raté de la campagne vaccinale contre la Covid 19 n’est pas le fruit, elle non plus, de la bureaucratie de notre appareil d’Etat mais de son incapacité à prendre au plus haut niveau de bonnes décisions stratégiques. Parler vaccin ou parler épidémie, c’est bien sûr parler de Santé Publique et on comprend bien que les médecins, le ministère et la direction générale de la Santé, le conseil scientifique aient leur mot à dire. Mais les moyens de lutte contre une épidémie, l’organisation et la distribution des produits nécessaires à la combattre (masques, tests, aujourd’hui vaccins …) nécessitent la mobilisation de moyens logistiques qui sont ceux de l’appareil de l’Etat ou de la nation tout entière.
Le monsieur ou la madame responsable de la campagne de vaccination ne peuvent pas être des spécialistes du vaccin ou de la santé publique mais doivent être d’abord et avant tout des spécialistes de la logistique. Il est curieux que les leçons récentes des masques et des tests n’aient pas conduit le Président de la République ou le Premier ministre à prendre la bonne décision. C’est dire l’emprise du pouvoir sanitaire dans la période actuelle par rapport au pouvoir politique.
Où sont les compétences logistiques dans l’appareil de l’Etat pour mener des opérations d’une telle ampleur ? Probablement en termes humains au sein de l’Armée française et dans un degré moindre au ministère de l’Intérieur pour une déclinaison sur les territoires. Mais les moyens logistiques sont clairement absents au niveau étatique. L’Armée elle-même n’en dispose peu ou pas . Une fois de plus, comme on l’a bien senti lors de la pénurie de masques, seule une forte collaboration avec le secteur privé logistique peut assurer la réussite d’une telle ampleur. Les plateformes logistiques sont privées, la maîtrise, difficile, des chaînes de froid est privée. Que faut-il faire, écrire ou dire pour que l’Etat en prenne conscience, avant de s’engager dans des exercices périlleux qui mettent en jeu non seulement la vie de nos concitoyens mais aussi la dynamique de notre économie.