L’Arabie Saoudite incite les entreprises étrangères à quitter Dubaï pour Riyad

25.02.2021 - Regard d'expert

Une source officielle a indiqué le 18 février que l’Arabie Saoudite a l’intention de cesser de signer des contrats avec les sociétés et institutions commerciales dont le siège régional ne serait pas situé dans le royaume. Il s’agit en fait des contrats du gouvernement, et des agences, institutions et fonds possédés par le gouvernement. La mesure prendra effet le 1er janvier 2024.

La même source a précisé que cette décision vise à inciter les entreprises étrangères qui traitent avec les autorités gouvernementales saoudiennes à s’installer en Arabie, de manière à créer des emplois sur place, à limiter les « fuites économiques » et à garantir que les biens et services achetés par les agences gouvernementales ont une part de contenu local. Cette mesure appelle les observations suivantes :

• Depuis longtemps les Saoudiens critiquaient le fait que leurs partenaires économiques étrangers aient leur siège régional à Dubaï, en utilisant la formule bien connue : « C’est comme si nous traitions les affaires françaises à partir de Monaco ! ».

• Aujourd’hui il est clair que le centre économique de la région se trouve en Arabie, alors qu’apparemment seulement 5 % des sociétés étrangères travaillant dans le Golfe ont leur siège dans le royaume.

• La « Vision 2030 » a pour objectif prioritaire de fournir des emplois aux jeunes Saoudiens et de mettre un terme aux « fuites économiques », c’est-à-dire au fait que beaucoup d’affaires concernant l’Arabie se traitent à Dubaï où, par ailleurs, de nombreux touristes saoudiens passent leurs week-ends et congés – d’où également l’accent mis sur le développement des loisirs en Arabie.

• Les autorités saoudiennes avaient en fait déjà proposé un “programme HQ” comportant des incitatifs tels qu’une exemption de taxe de 50 ans ou la levée pour 10 ans des quotas relatifs à l’emploi de Saoudiens. Mais peu d’entreprises étrangères ont saisi cette opportunité. Le gouvernement a donc choisi d’imposer la mesure.

• Cette décision a été bien accueillie par la communauté d’affaires saoudienne , qui espère en bénéficier directement ou indirectement.

• Le ministre des Finances a néanmoins tenu à souligner que certains secteurs seraient exclus et que naturellement les entreprises étrangères sans siège régional dans le pays pourraient continuer à travailler avec le secteur privé.

• Il a aussi nié que cette mesure vise Dubaï, mais la plupart des observateurs pensent au contraire qu’elle portera atteinte à la position de l’émirat comme hub d’affaires et financier régional.

• Il est bien sûr prématuré de prévoir l’impact de cette décision, d’autant plus que ses modalités de mise en oeuvre doivent encore être précisées. Simplement, il y a des raisons de penser que ce plan sera difficile à appliquer : outre la question délicate des dérogations attendues pour certains secteurs, le mouvement espéré par Riyad sera en réalité conditionné par plusieurs facteurs, dont des dérégulations nécessaires, l’acquisition du savoir-faire commercial de Dubaï, le développement des loisirs et l’amélioration du niveau des écoles pour les enfants d’expatriés.

Bref, c’est surtout l’accroissement de l’attractivité du royaume – certes déjà engagé par les réformes de la « Vision 2030 » – qui déterminera le succès ou non de cette mesure.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.