Quel impact sur l’Arabie Saoudite aura la publication du rapport de la CIA relatif à l’affaire Khashoggi ?

04.03.2021 - Éditorial

La publication du rapport de la CIA sur l’affaire Khashoggi a été accueillie froidement à Riyad par un communiqué officiel disant que le royaume ‘rejette complètement l’appréciation négative, fausse et inacceptable du rapport concernant la direction saoudienne et note que le rapport contient une information et des conclusions inexactes ».

Il ajoute que l’Arabie « rejette toute mesure portant atteinte à sa direction, sa souveraineté et l’indépendance de son système judiciaire » mais qu’elle se félicite du « partenariat robuste et durable » avec les Etats-Unis. Le prince héritier est par ailleurs apparu à la télévision – 24 heures après une opération d’appendicite – lors d’une course automobile, où il était acclamé par l’assistance. Suite à la publication du rapport de la CIA, les autorités américaines ont décidé des sanctions contre les auteurs du commando ayant assassiné Khashoggi et contre toute personne dans le monde accusée de s’attaquer à des dissidents et des journalistes. 76 Saoudiens sont concernés, mais la loi américaine interdit de publier les noms.

Le prince Mohamed Ben Salman n’est pas sanctionné car, selon la Maison Blanche, les Etats-Unis n’imposent pas de sanctions aux dirigeants de pays avec lesquels ils ont des relations diplomatiques. Mais, est-il ajouté, « il y a d’autres moyens efficaces pour traiter la question ». Les Etats-Unis ne veulent en effet pas handicaper leurs intérêts en Arabie et « l’objectif est un recalibrage, pas une rupture ». Naturellement, une partie des Congressmen, de la presse et des ONG ont jugé insuffisante la politique de l’administration Biden à l’égard de MBS. En sens inverse, la presse saoudienne a critiqué le rapport, présenté comme une tentative – en visant le prince héritier – de nuire aux nouvelles ambitions de l’Arabie Saoudite. Elle souligne que le royaume a traditionnellement mauvaise presse en Occident – notamment dans les milieux de gauche – en raison de sa richesse et de son influence religieuse.

Il est en outre critiqué aujourd’hui parce qu’il ne cède pas aux pressions occidentales et qu’il a un « ambitieux programme de réformes économiques, soutenu par une jeunesse enthousiaste ».

Pour le gouvernement saoudien, l’affaire Khashoggi est désormais close avec la reconnaissance par Mohamed Ben Salman de sa responsabilité morale et avec la publication du rapport de la CIA. La conversation téléphonique la semaine dernière entre le président Biden et le roi Salman montre que la coopération entre les deux pays va se poursuivre, mais avec de nouvelles règles. Selon plusieurs observateurs, il faudra probablement six mois pour qu’un nouveau modus vivendi s’établisse. Concrètement cela signifie que :

• Dans un premier temps, MBS ne sera plus l’interlocuteur privilégié de la Maison Blanche, même si l’on est conscient à Washington qu’il tient l’essentiel des rênes du pouvoir à Riyad.

• Les Saoudiens vont certainement – pour relativiser la pression américaine – mettre en avant les coopérations « alternatives » qu’ils ont ou peuvent développer avec leurs partenaires asiatiques et européens notamment. Cela ne signifie pas qu’en même temps ils ne feront pas miroiter aux entreprises américaines les opportunités d’affaires existantes en Arabie.

• L’attitude de l’administration Biden à l’égard de l’Iran jouera un rôle déterminant dans la qualité de la relation qui s’établira entre les autorités des deux pays. Si Riyad a le sentiment que Washington reprend la politique Obama, les rapports peuvent devenir difficiles. Si au contraire la politique de Biden paraît plus ferme et aboutit à des concessions iraniennes sur les deux dossiers prioritaires pour l’Arabie – les missiles et les drones iraniens ainsi que la politique régionale de Téhéran – alors le partenariat stratégique américano- saoudien connaitra un nouveau souffle.

• La France et l’Europe doivent avoir en tête ce nouveau paradigme pour jouer pleinement leur rôle et bénéficier de la nouvelle donne. Elles doivent aussi aider l’Arabie à améliorer son image dans l’opinion publique occidentale – d’abord par la poursuite de gestes concrets sur le fond, mais aussi par une politique plus efficace en matière de communication.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.