Quand l’extrême-droite subversive américaine gagne en audience en France : le cas de la mouvance QAnon
En novembre dernier, le monde découvrait le visage de Marjorie Greene, première élue à la Chambre des représentants des Etats-Unis à se revendiquer publiquement de la mouvance QAnon. Issue des milieux d’affaires, ouvertement raciste, adepte du survivalisme et ne manquant jamais une occasion d’exhiber ses armes, les électeurs de l’Etat de Géorgie l’ont élue parlementaire au terme d’une campagne menée tambour battant, à bord de son 4×4 décapotable aux allures militaires.
Historiquement, la mouvance QAnon tire son nom de l’association de la lettre Q (en référence aux niveaux d’habilitation en vigueur au sein de l’administration américaine) et de Anon (pour Anonymous). Apparue en 2017, cette mouvance promeut des théories complotistes assez peu originales : depuis des décennies les Etats-Unis seraient contrôlés par un État profond qui amalgamerait des forces occultes à la fois politiques, financières et médiatiques, toutes pédophiles. Paradoxalement, ni la faible originalité de ses thèses, ni leur extravagance, ne freine le développement du mouvement. Au contraire, les adeptes du mystérieux « Q » sont chaque jour plus nombreux à tenter d’en décrypter les publications absconses.
Cette apparence très informelle du mouvement et sa rhétorique participative (les sympathisants sont invités à formuler leurs propres réponses aux questions soulevées par l’actualité américaine telles que l’origine des feux de forêts, les raisons des émeutes raciales, les causes de l’épidémie de Covid19, etc.), expliquent la fulgurance de son développement sur les réseaux sociaux. En l’espace de quelques mois, des centaines de milliers d’Américains se sont ralliés à ces explications à la fois simplistes et fantaisistes de l’actualité de leur pays. Sur Internet, le nombre d’adhérents des sites dédiés à la mouvance QAnon a ainsi été multiplié par trois en trois ans et les termes qui la caractérisent (« Deep State », « Fall of the Cabal », « Great Reset ») ont vu leur nombre de requêtes Google augmenter significativement. Le site qmap.pub qui recense les publications de « Q » a d’ailleurs connu une forte augmentation de sa fréquentation, passant de 4,1 millions de visites en janvier 2020 à 10,5 millions en mai. Se surnommant les « bakers » (par allusion aux miettes d’informations que répand « Q » sur Internet), les militants QAnon sont d’indéfectibles soutiens de Donald Trump. Au cri de WWG1WGA (« Where we go one we go all », sorte de déclinaison du « Un pour tous, tous pour un »), ils considèrent que seul Donald Trump, aidé de milices armées, serait à même d’éradiquer les pédophiles et d’ “assécher le marais » (« drain the swamp »). Particulièrement subversive, cette mouvance est suivie de près par le FBI qui la qualifie de menace terroriste intérieure (« domestic terrorist threat ») susceptible de recourir à des actions violentes.
En décembre 2018, la police américaine interpelait d’ailleurs un homme en possession d’explosifs : il expliquait dans des termes empruntés à la rhétorique QAnon, vouloir détruire le siège du gouvernement de l’Illinois qu’il qualifiait de « temple satanique ». En France, la mouvance QAnon attire majoritairement des individus d’extrême-droite, adeptes des théories complotistes et structurellement plus réceptifs aux discours anti-élites. Beaucoup d’entre eux déclarent se reconnaître dans les discours de François Asselineau, de Nicolas Dupont-Aignan, de Gilbert Collard ou plus récemment de la députée Martine Wonner (Libertés et Territoires, ex-LREM), interrogée dans le documentaire complotiste Hold-Up. En la matière, force est de constater que leur intérêt pour la crise sanitaire est particulièrement marqué : leur nombre a crû à l’occasion du premier confinement sur fond de défiance envers l’Etat et sa stratégie vaccinale. Bien que, pour l’heure, le fort ancrage américain de QAnon ralentisse sa progression en Europe et en France, les cercles antisémites sont de plus en plus perméables à son discours. Dans le sillage d’Alain Soral, les références plus ou moins directes à QAnon se sont récemment multipliées. Sur YouTube, leurs adeptes ont notamment publié plusieurs vidéos reprenant les thèses de QAnon en matière de suprémacisme blanc et de survivalisme. Ces connexions récentes interpellent les services de renseignement français. Interrogé par Le Parisien le 3 janvier dernier, le Coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme Laurent Nuñez disait observer « un regain de la mouvance survivaliste au sein de l’ultra- droite » dont « une partie des membres s’entraîne clandestinement à se défendre face à une attaque islamiste en ciblant des objectifs musulmans ».
Jusqu’alors cantonné aux Etats-Unis où il se nourrissait de l’eschatologie prêchée par certains prédicateurs, le survivalisme était plus moqué que redouté. Que ses adeptes se préparent aux apocalypses en bunkerisant leur habitat, en y stockant de la nourriture, des armes et des munitions en abondance, et qu’ils se forment à la survie, était vu, depuis la France, comme une philosophie aussi curieuse qu’inoffensive. En décembre dernier, le périple meurtrier de Frédérik Limol, ôtant la vie à trois gendarmes, a cependant projeté une lumière crue sur la percée du survivalisme en France. Dans les jours qui suivent son suicide, l’enquête révèle que le meurtrier des gendarmes du Puy-de-Dôme visionnait régulièrement des vidéos complotistes sur Internet dont certaines étaient liées à QAnon.
Au-delà des violences sociales du quotidien, les forces de sécurité intérieure françaises affrontent désormais les conséquences d’une américanisation croissante de la société française où s’affrontent non plus des intérêts conciliables par des discussions rationnelles mais des valeurs non négociables catalysées par des mobilisations émotionnelles. Alors que les grands services publics qui instruisent et qui soignent s’affaissent, les forces de sécurité intérieure françaises restent la dernière digue, celle qui protège, encore debout face aux assauts du complotisme et des subversions violentes. Mais pour combien de temps encore…