La Chine peut-elle concurrencer les Etats-Unis dans le Golfe ?
1 / A l’occasion de sa tournée, la semaine dernière, au Moyen Orient, le ministre chinois des Affaires étrangères a signé le 27 mars un accord de coopération de 25 ans avec l’Iran. Les éléments de cet accord ne sont pas connus précisément, mais le projet dévoilé l’an dernier mentionnait des investissements chinois dans l’énergie nucléaire, les infrastructures de transports (ports et aéroports), l’industrie gazière et pétrolière, ainsi que les technologies militaires. Il serait aussi question de créer une banque commune afin de mettre les transactions entre les deux pays à l’abri des sanctions extraterritoriales américaines. Par ailleurs, le ministre chinois a visité au cours de sa tournée l’Arabie Saoudite, la Turquie, les Emirats Arabes Unis, Bahreïn et Oman. Cela met en perspective la politique de Pékin au Moyen Orient, qui n’est pas essentiellement centrée sur l’Iran, contrairement à ce que Téhéran essaie d’accréditer. En effet, la Chine entretient des relations économiques significatives avec l’ensemble des pays de la région, dont elle est devenue le premier partenaire commercial, devançant les Etats-Unis. La signature de l’accord avec Téhéran n’est donc qu’un élément – certes important – d’une politique de présence accrue de la Chine au Moyen Orient.
2 / Que signifie réellement cet accord ? Pour l’Iran, c’est d’abord l’espoir de retrouver un peu d’oxygène face à la pression exercée par les sanctions occidentales. La Chine a effectivement continué à acheter du pétrole iranien, mais le volume des échanges entre Pékin et Téhéran est tombé à environ 16 Mds $ en 2020, contre plus de 50 Mds autrefois. L’accord crée donc une perspective de coopération renforcée « à l’Est », à un moment où la relation de l’Iran avec l’Amérique de Biden et avec les Européens n’est pas encore clarifiée. Le ministre iranien des Affaires étrangères a tenu à saluer en la Chine « un ami des temps d’épreuves » et s’est félicité d’une « feuille de route complète, comportant des clauses politiques, stratégiques et économiques ». C’est donc un message à l’Occident : l’Iran n’est pas isolé et dispose d’alternatives à la coopération avec l’Ouest. Pour la Chine, c’est naturellement un message à destination des Etats-Unis : à un moment où le Président Biden affirme le retour des Etats-Unis à une politique de leadership et relève le gant de la compétition avec la Chine, Pékin répond par sa volonté de s’implanter plus fortement au Moyen-Orient, terre traditionnelle d’influence de Washington. Pékin prend donc la tête des pays qui veulent se soustraire au modèle occidental, que la Chine conteste.
3 / Toutefois derrière ces évolutions significatives, il ne faut pas perdre de vue un certain nombre de réalités :
• L’Iran est dans une situation économique catastrophique et c’est le pays du Moyen-Orient le plus touché par la crise du Covid 19. Il est donc dans une position d’obligé à l’égard de la Chine – mais aussi de la Russie – qui toutes deux entendent, au passage, lui vendre leur vaccin (la première campagne de vaccination a commencé en février avec le vaccin russe).
• Mais la Chine cherche surtout à garantir ses approvisionnements en hydrocarbures (en provenance d’Iran comme des autres pays du Golfe) et considère Téhéran comme une carte dans sa compétition avec les Etats-Unis. Il ne faut en effet pas oublier que le véritable allié de Pékin dans la région est le Pakistan, pour faire pièce à l’Inde. C’est là qu’iront en priorité les investissements chinois ; et ceux en Iran risquent donc de se faire attendre.
• Téhéran est par ailleurs parfaitement conscient que, si ses discussions avec Washington avancent, la levée des sanctions occidentales aurait – elle – un effet immédiat sur la trésorerie des Iraniens. La priorité pour Téhéran demeure donc un arrangement avec les Occidentaux – si possible au moindre coût – d’autant plus que la colère sociale gronde en Iran. En somme, derrière les déclarations de « coopération stratégique » entre la Chine et l’Iran, il y a en réalité, de la part de Pékin, une « diplomatie sanitaire » générale auprès des pays en développement – dont l’Iran – mais surtout un objectif commercial : Pékin perçoit en effet le Moyen-Orient comme une zone au carrefour des marchés asiatique et européen et qui recèle des opportunités économiques importantes.
La Chine a besoin du pétrole et du gaz du Moyen-Orient, région qu’elle considère globalement comme une zone de transit pour son projet de « nouvelles routes de la soie ».
Elle profite par ailleurs des interrogations – notamment à Riyad – sur la politique « droits-de-l’hommiste » de l’administration Biden pour promouvoir sa contestation des valeurs occidentales. Et il est exact que le silence assourdissant des pays musulmans sur le dossier des Ouïghours montre que Pékin dispose d’ores et déjà de cartes dans la région.
Il reste que la Chine n’apparaît pas encore – contrairement à la Russie – comme un acteur politique incontournable au Moyen- Orient et que les pays du Golfe – comme l’Iran d’ailleurs – ont aujourd’hui essentiellement les yeux tournés vers Washington pour savoir quel arrangement ils pourront trouver avec l’administration Biden dans la région. Cela illustre la limite de la stratégie moyen-orientale de Pékin, qui marque certes des points mais n’apparaît pas à ce stade comme un compétiteur crédible de Washington.