Dix ans, jour pour jour après l’entrée, le 31 mars 2011, des forces rebelles dans Abidjan, guidées par les Forces Spéciales françaises, qui conduira le 11 avril suivant à l’arrestation de Laurent Gbagbo, président constitutionnel de la Côte d’Ivoire, la chambre d’Appel de la Cour Pénale Internationale (CPI) a prononcé l’acquittement total et définitif de celui-ci et de son ancien ministre Charles Blé Goudé.
Le 11 avril 2011, interrogé sur la chaîne française BFMTV alors que les troupes françaises pénétraient dans l’enceinte de la résidence présidentielle à Abidjan, j’avais déclaré que « l’Histoire, avec un grand H, rendra raison à Gbagbo ». Nous y sommes. Dix longues années d’enfermement, dans des conditions indignes à Korhogo, au nord de la Côte d’Ivoire, d’abord puis, à partir du 30 novembre 2011, à la prison néerlandaise de Scheveningen, se sont achevées sur cette formidable victoire. Il faut rendre hommage à la probité des juges de la CPI qui, à tous les échelons de la procédure, ont su dire le droit dans un dossier où, dès l’étape de la Chambre préliminaire, la juge belge avait prévenu que «…même en accordant aux éléments de preuves disponibles une valeur maximale, on doute sérieusement qu’ils suffiront à fonder une déclaration de culpabilité, il ne sert à rien de confirmer les charges ».
Cela fut tout de même fait, dans des conditions non éclaircies jusqu’à ce jour, mais le 15 janvier 2019 la Chambre de première instance de la CPI acquittait totalement Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Finalement, le 31 mars 2021, la Chambre d’Appel rejetait la tentative d’appel du bureau du procureur en précisant « … qu’elle n’a relevé aucune erreur qui aurait pu entacher sérieusement la décision de la Chambre de première instance relativement à l’un ou l’autre des deux moyens d’appel soulevés par le procureur. La Chambre d’appel rejette donc l’appel du procureur et confirme la décision de la Chambre de première instance ». Cela met juridiquement fin à l’un des pires storytelling politiques de ce début de siècle. Il va s’achever avec le retour, désormais acté par Alassane Ouattara lui-même le 7 avril dernier, du président Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé dans leur pays, la Côte d’Ivoire.
Il restera à l’Histoire de faire la lumière sur les évènements qui, du coup d’Etat raté contre Laurent Gbagbo le 19 septembre 2002 jusqu’à aujourd’hui, auront fait frôler l’abîme aux Ivoiriens. Le retour tant espéré par l’immense majorité des Ivoiriens de Laurent Gbagbo va permettre d’ouvrir la page de la vraie réconciliation nationale que le régime actuel n’a jamais su, ou voulu, conduire malgré des velléités vite étouffées à l’image des deux commissions de « réconciliation » qui n’ont débouché sur aucun acte concret. Au contraire, le pouvoir s’est entêté et, à l’heure actuelle, plusieurs centaines d’hommes et de femmes, civils et militaires, croupissent en prison, la grande majorité d’entre eux sans inculpation formelle, en violation des droits les plus élémentaires dans un Etat qui se revendique démocratique.
Quel avenir pour la Côte d’Ivoire ?
« Chez les gens qui se sont retrouvés en prison alors qu’ils essayaient de transformer la société, le pardon est naturel. Ils n’ont pas de temps à perdre à se venger ». Cette remarque de Nelson Mandela peut s’appliquer parfaitement à Laurent Gbagbo, qui a fondé son action politique uniquement sur le plan démocratique et qui est symbolisée par sa fameuse expression : « Asseyons-nous et discutons » ! C’est le défi politique qui attend le président dès son arrivée en Côte d’Ivoire. Son objectif majeur sera de travailler à la réconciliation nationale, au sens le plus noble du terme, alors que le pays a subi, le 31 octobre 2020, une nouvelle violation constitutionnelle avec la candidature illégale à un troisième mandat de Ouattara qui a débouché sur un « scrutin » défiant toutes les conditions de liberté, de justice et de transparence qui sont l’apanage d’élections démocratiques.
D’ailleurs Emmanuel Macron, au-delà des postures officielles des relations interétatiques, n’est pas dupe. Se confiant à des journalistes pour un livre sur son rapport à l’Afrique1, il leur a déclaré ceci à propos du troisième mandat d’Alassane Ouattara: « ça a été une déception !…comme je lui ai dit, la stabilité de son parti est moins importante que l’alternance démocratique de son pays. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, je ne peux me substituer à lui ». Laurent Gbagbo, lui, anticipant la décision de la CPI a voulu préparer le terrain en faisant participer les forces politiques qui le soutiennent aux élections législatives du 6 mars dernier. Il a formé ainsi une vaste alliance électorale avec, principalement, le PDCI-RDA, fondé par Félix Houphouët-Boigny et dirigé par Henri Konan Bédié qui a rompu, depuis quelques temps déjà, son engagement contre nature aux côtés de Ouattara. Tout en sachant que ces élections allaient subir « la méthodologie électorale » orchestrée par la Commission Électorale sous le contrôle partisan du Conseil Constitutionnel, l’initiative de Laurent Gbagbo a toutefois permis à plus de cent députés d’opposition d’entrer au Parlement, prêts à y relayer les propositions de retour à une vie démocratique qu’il ne va pas manquer de défendre dès son retour. C’est un pari difficile, dans une société ivoirienne traumatisée par dix ans de pouvoir sans partage, sur fond de « rattrapage ethnique » qui a profondément déchiré le tissu social ivoirien, comme me le confiait récemment l’ancien ministre d’Houphouët- Boigny Essy Amara qui présida en 1994 /1995 l’Assemblée Générale de l’ONU.
Le 11 avril 2011, à peine enfermé dans une chambre de l’Hôtel du Golf, Laurent Gbagbo avait déclaré : « la partie militaire de la crise est terminée, il reste à régler la partie civile pour que le pays reprenne ». Ouattara n’a non seulement rien fait pour la régler, il l’a plutôt approfondie en dix ans et il n’y a plus de temps à perdre pour revenir au débat démocratique. Le 28 février 2013, au terme de la procédure initiale engagée contre lui à la CPI, Laurent Gbagbo s’était adressé à la Cour en déclarant : « la démocratie c’est le respect des textes, à commencer par la plus grande des normes en droit qui est la Constitution. Qui ne respecte pas la Constitution n’est pas démocrate (…)
C’est parce que j’ai respecté la Constitution que l’on veut me mener ici (…) le salut pour les Etats en Afrique c’est le respect des Constitutions que nous nous donnons et des lois qui en découlent ». C’est le défi démocratique que les Ivoiriens veulent maintenant relever. Rendez-vous est pris avec la présence très prochaine de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire.