L’élection du président Biden aux Etats-Unis a donné le sentiment – et l’espoir – que la situation tendue et bloquée au Moyen-Orient pourrait évoluer dans le sens d’un apaisement des tensions. Des premiers gestes ont certes été effectués de part et d’autre pour marquer cette volonté de changer la donne, mais au cours des derniers jours le dossier iranien paraît à nouveau englué dans la méfiance persistante des protagonistes.
L’accord nucléaire est naturellement très complexe en lui-même, ce qui explique la difficulté d’entamer la négociation alors qu’en outre plusieurs paramètres ont évolué depuis 2015. Mais il est aussi frappant de constater que tous les principaux acteurs au Moyen-Orient ont en réalité une marge de manoeuvre limitée :
• Les Etats-Unis se désengagent partiellement de la zone (Afghanistan, Yémen notamment) et se déclarent ouverts à une négociation avec l’Iran, à certaines conditions. En Irak, en Syrie et au Liban, ils sont toujours présents mais n’entendent pas être en première ligne. Ils ont repris langue avec les Palestiniens, mais n’ont pas l’intention de prendre une initiative de paix au Proche-Orient. Ce désengagement relatif – sauf à l’égard d’Israël et dans le Golfe – ne renforce donc pas leur main dans la région.
• La Russie, par sa présence militaire, est un acteur important en Syrie et en Libye. Mais son partenariat avec Erdogan est ambigu, de même qu’avec l’Iran en Syrie. En outre, ses relations difficiles avec l’administration Biden et maintenant avec les Européens (à cause notamment de l’affaire Navaltny et de l’Ukraine) réduisent d’autant les cartes de Poutine.
• L’Iran a un intérêt majeur à parvenir à un accord avec les Américains sur le dossier nucléaire afin de débloquer des fonds et de réexporter son pétrole, conditions indispensables pour sortir de son marasme économique actuel. Mais le régime de Téhéran est prisonnier de sa rhétorique anti-américaine – surtout à la veille d’élections présidentielles – et a tendance à placer la barre trop haut, compliquant ainsi la négociation. Il est donc difficile à ce stade de savoir si les Iraniens finiront par accepter des compromis ou si ils choisiront la fuite en avant en tablant sur l’antagonisme sino-américain.
• Israël a du mal à former un gouvernement et Netanyahou joue sur l’image détestable du régime de Téhéran pour gêner le début de la négociation des 5+1 avec l’Iran, récemment par l’attaque non revendiquée sur la centrale de Natanz.
• L’Arabie Saoudite ne peut plus compter sur le soutien inconditionnel du président Trump et cherche un arrangement avec l’administration Biden, tout en jouant la carte de la diversification de ses partenaires : Chine, Russie, Europe, rapprochement avec la Turquie mais aussi avec Israël. Et il est intéressant que des contacts aient même repris avec l’ennemi iranien, sans doute au sujet du Yémen mais aussi pour marquer qu’il faudra prendre en compte ses préoccupations dans tout arrangement régional éventuel avec l’Iran.
• La Turquie est incontournable en Irak, en Syrie et en Libye. Mais la politique expansionniste d’Erdogan suscite la méfiance de tous ses voisins : l’Europe (Méditerranée orientale , Arménie) ; la Russie (vente de drones à l’Ukraine) ; les pays arabes (à part le Qatar) et l’Iran (son concurrent traditionnel dans la région). Ses « gestes » récents à l’égard de l’Europe, de l’Egypte et de l’Arabie Saoudite ne changent pas fondamentalement la donne. En outre, à l’intérieur, la mauvaise situation économique ne peut qu’éroder sa popularité. Bref, la marge de manoeuvre du « néo-sultan » est limitée d’autant.
• La Chine, premier partenaire commercial des pays de la région, cherche à avancer ses pions sur les plans politique et sanitaire. Elle a marqué des points (accord avec l’Iran, silence des pays musulmans sur la question ouïghoure), mais elle ne peut pas encore être considérée comme un acteur déterminant dans la zone, d’autant plus que les pays du Golfe ont en ce moment pour priorité de trouver un modus vivendi avec l’administration Biden.
• L’Europe n’a pas le poids politique que son voisinage et sa présence économique devraient lui donner. Mais face au jeu en cours pour redéfinir les équilibres régionaux, elle pourrait et devrait devenir un acteur important permettant aux pays de la région de ne pas demeurer les obligés de Washington ou de devenir à terme ceux de Pékin. Cela impliquerait cependant d’avoir cette volonté stratégique et d’être en mesure de proposer des solutions sur les dossiers de la région, ce qu’elle n’est actuellement pas capable de faire. En somme, tout le monde espère que l’arrivée du président Biden à la Maison Blanche permettra de créer une dynamique vertueuse susceptible d’apaiser les tensions au Moyen-Orient.
Mais quand on considère le jeu des principaux acteurs dans la région, on ne peut que constater leur marge de manoeuvre limitée du fait de la complexité des enjeux et de leur interconnexion. Cela ne donne que plus de sens à la prochaine visite du Président de la République dans le Golfe, pour discuter avec ces pays de la meilleure façon pour l’Europe d’apporter une contribution à la stabilisation indispensable du Moyen Orient