Le sommet du 18 mai 2021 qualifié de « New Deal pour l’Afrique » et portant sur le financement des économies africaines fut singulier à plusieurs égards.
Singulier parce qu’il fut le premier sommet international (hormis quelques sommets européens) à se tenir depuis 16 mois avec un air du monde d’avant – il s’est tenu avec des dirigeants présents physiquement à Paris et d’autres en visioconférence (la Directrice générale du FMI était à Paris, le Président de la Banque mondiale était resté à Washington ; le Président du Conseil italien Mario Draghi était à Paris et la Chancelière Merkel avait enregistré un message vidéo, etc.) ; singulier parce qu’il ne fut ni un sommet du G7, ni un sommet du G20 ou d’une organisation internationale mais un sommet hybride où seuls quelques pays furent invités tant du côté africain que des autres participants ; singulier enfin parce qu’il entendait traiter à la fois de la question de l’endettement et du financement des économies, sans quoi aucune solution ne peut être durable.
Le « New Deal de l’Afrique » a lancé une dynamique internationale sans pour autant déboucher immédiatement sur de nouveaux engagements financiers des créanciers
Le terme New Deal est un terme assez galvaudé, mais le message est clair : il s’agissait d’apporter une réponse de nature politique, économique et financière permettant au continent de se relever de la crise pandémique et de construire l’Afrique de demain. Mais, cela ne signifie pas que le sommet a débouché sur des promesses d’engagements financiers nouveaux en centaine de milliards de dollars. La question centrale reste de savoir comment mobiliser le secteur privé qui seul pourrait déployer un montant suffisant dont le continent a besoin pour sa croissance et son émergence. Cette rencontre fut aussi une réponse au déséquilibre que l’on a vu apparaître entre les économies avancées et les autres.
Il y a en effet un écart colossal entre ce que les économies matures ont été capables de mobiliser pour soutenir leurs économies pendant la pandémie à travers des mesures de soutien et de plans de relance, environ 15 000 milliards de dollars, soit près de 15% du PIB mondial, et ce qu’ont pu entreprendre les pays moins avancés à une échelle dix fois plus petite en ce qui concerne le continent africain. Il fallait donc envoyer à l’Afrique un signal politique fort. Un signal de solidarité. Au niveau financier, une première victoire a été de faire accepter au FMI une nouvelle allocation de DTS (Droits de Tirage Spéciaux) à hauteur de 650 milliards de dollars pour ses 183 membres, chacun en recevant une partie en fonction de sa quote-part au FMI, ellemême calculée en fonction de la puissance économique des pays. L’Afrique (du Nord et l’Afrique subsaharienne) doit recevoir environ 33 milliards de dollars à ce titre. Cette première victoire a été rendue possible par la levée du véto américain, au lendemain de l’élection de Joe Biden à la présidence.
En mars dernier le FMI a commencé les discussions, et le Conseil d’administration du FMI doit désormais valider la décision d’ici la fin du mois de juin, pour une allocation possible dans le courant du mois août. Une seconde bataille se joue et porte sur le montant des DTS inutilisés que des pays riches seraient prêts à allouer aux pays à bas revenus. Indépendamment des questions techniques et juridiques très complexes qu’elle pose, l’enjeu porte sur le montant qui sera in fine alloué aux pays à bas revenus et africains en particulier. Le sommet de Paris a établi une cible de 100 milliards de dollars (soit 67 milliards de plus que ceux déjà alloués), un montant à la fois élevé et faible si on considère que les besoins du continent ont été au moins estimés à 285 milliards de dollars d’ici 2025 par le FMI. Les débats qui vont se tenir lors des prochains G7, G20 et conseils d’administration s’annoncent animés.
Concilier financement et endettement
Il ne peut y avoir de développement et d’émergence sans endettement et il ne saurait y avoir endettement s’il n’y a pas remboursement. Tout d’abord il serait erroné de penser que seule l’Afrique fait face à un endettement récurrent. Historiquement, la quasi-totalité des pays ont fait défaut sur leur dette, y compris la France et l’Allemagne. Il faut tordre le cou à l’idée selon laquelle il y aurait une singularité africaine en matière d’endettement. Ce qui est vrai, c’est que certains pays, (et l’on ne parle pas de toute l’Afrique mais de quelques pays) du fait de leurs caractéristiques sont plus vulnérables que d’autres. Deuxième point, la pandémie n’a pas créé la situation actuelle, elle n’a fait que l’amplifier et l’accélérer.
Les difficultés de certains pays sont venues après la crise pétrolière de 2014, quand les cours du brut ont brusquement décroché due à une surabondance de l’offre et un ralentissement de la demande, passant de 120 dollars le baril à 60 dollars et même à moins de 30 dollars début 2016. Les pays exportateurs de pétrole (de l’Algérie au Nigéria en passant par l’Angola, le Congo ou le Tchad) ont donc été sévèrement touchés et la volatilité des autres matières premières a également eu un impact (par le cuivre pour la Zambie). Troisièmement, de nouveaux créanciers sont arrivés en Afrique ces dix dernières années. Des pays comme la Chine, mais aussi des prêteurs privés. Avant 2010, seuls trois pays africains avaient recours aux marchés de capitaux ; sur les dix dernières années ils étaient dix-huit. Dix-huit sur cinquante-quatre, c’est donc loin d’être la majorité, et l’on ne peut pas dire que les marchés de capitaux sont responsables à eux seuls de la détérioration de l’endettement de l’Afrique, surtout que seuls 8 pays ont concentré 81% des émissions sur la période.
La dette ne touche pas les pays de manière homogène. On ne peut pas globaliser et mettre tous les pays dans le même panier même si de manière macroéconomique, l’endettement a doublé à l’échelle du continent entre 2010 et 2020, passant de 32,1% à 65% du PIB. Les vulnérabilités sont différentes, les types de créanciers aussi, et les solutions le seront tout autant. Il faudra donc procéder pour les pays africains à une analyse au cas par cas. Ce qu’ont d’ailleurs décidé de faire les pays du G20 en novembre dernier en mettant en place le Cadre commun grâce auquel trois pays africains ont déjà demandé un rééchelonnement de leur dette, le Tchad, la Zambie et l’Ethiopie.
Stimuler le secteur privé pour créer les investissements de demain et les emplois d’après-demain
L’enjeu est tout autant économique, que politique et stratégique. La démographie du continent est un atout à partir du moment où elle débouche sur des créations massives d’emploi. Ce fut l’autre volet du sommet : accompagner le secteur privé et les PME en particulier et envoyer un message à la jeunesse. Il n’y a pas de solution unique mais toute une palette d’instruments. Entre les mécanismes qui se mettront en place pour permettre la réallocation de DTS, la possibilité peut-être d’avoir des emprunts non-concessionnels adossé à des fonds de garantie, et peut-être aussi et surtout la façon dont on pourrait associer le secteur privé pour accompagner la prise de risque et soutenir également les entreprises de taille intermédiaire car ce sont celles qui exportent le plus, investissent le plus et créent des emplois. L’Afrique doit aussi créer les conditions favorisant l’émergence de champions mondiaux de demain.