Contrastes dans les politiques d’enseignement de l’Islam au Moyen Orient

01.07.2021 - Regard d'expert

Etant donné la place prise par l’Islam dans nos sociétés, il est intéressant d’analyser les évolutions en cours en matière d’enseignement de l’Islam dans les pays du Moyen Orient qui ont l’ambition de jouer un rôle de leader au sein du monde musulman : la Turquie, l’Arabie Saoudite et l’Iran, mais aussi dans une moindre mesure les Emirats Arabes Unis et le Qatar.

1 / La politique islamique de ces pays

  • La Turquie, sous l’empire ottoman, a été le centre de la civilisation musulmane pendant près de cinq siècles, car le sultan était aussi calife (successeur du Prophète). En 1923 Atatürk a supprimé le califat et a instauré un régime laïc.
  • Toutefois Erdogan a progressivement re-islamisé le régime turc, qui est apparu lors des « printemps arabes » – du fait de ses succès économiques – comme une sorte de modèle de « démocratie musulmane » pour les pays de la région.
  • Aujourd’hui son autoritarisme à l’intérieur, sa politique pan-ottomane à l’extérieur et les difficultés économiques de la Turquie n’en font plus une référence au Moyen-Orient. Cela n’empêche pas Erdogan de chercher à acquérir un rôle de leader au sein du monde sunnite.
  • L’Arabie Saoudite abrite les deux lieux les plus saints de l’Islam (La Mecque et Médine) et son souverain se qualifie de « gardien des lieux saints ». Le Royaume se veut donc exemplaire sur le plan religieux et il bénéficie effectivement d’une influence certaine au sein du monde sunnite (85 % des musulmans dans le monde). Il a par ailleurs exporté son modèle wahhabite (rigoriste) un peu partout, même s’il souhaite désormais promouvoir un Islam « du juste milieu ».
  • L’Iran est le principal pays chiite dans le monde. Depuis la révolution de 1979 ayant instauré une République islamique, le régime des ayatollahs conteste la primauté saoudienne sur les lieux saints et se veut le porte-parole d’un Islam révolutionnaire et anti-occidental.
  • Malgré une situation économique catastrophique – aggravée par les sanctions américaines – Téhéran a, depuis l’invasion américaine de l’Irak, étendu son influence au Moyen-Orient – en particulier en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen – en s’appuyant sur des milices chiites qu’il finance et arme.
  • Les autorités iraniennes espèrent néanmoins parvenir avec l’administration Biden à la levée des sanctions américaines, sans pour autant renoncer à leurs ambitions régionales. • Les Emirats Arabes Unis se veulent, avec Mohamed bin Zayed, le modèle d’un pays musulman tolérant, ayant réussi économiquement, pro-occidental et fer de lance contre l’Islam politique (considéré comme le terreau du terrorisme islamique). C’est ce qui l’a amené à soutenir le président Sissi d’Egypte contre les Frères musulmans et leurs soutiens turc et qatari. Il a aussi établi des relations diplomatiques avec Israël.
  • Le Qatar est l’autre pays wahhabite qui, depuis 1995, en promeut une pratique plus libérale. Mais il a, par ailleurs, révolutionné le monde médiatique arabe avec la chaîne satellitaire « al-Jazeera », qui donne la parole aux opposants et notamment aux Frères musulmans. L’émirat a également financé les Frères musulmans en Egypte, en Syrie et en Libye et il s’est allié à la Turquie d’Erdogan, s’opposant ainsi de front à la politique anti-Islam politique des Emirats Arabes Unis.

2 / L’évolution de l’enseignement de l’Islam dans ces pays

 Aujourd’hui, l’évolution des systèmes éducatifs de ces Etats reflète les luttes d’influence entre eux mais elle aura aussi à terme un impact sur les mentalités des jeunes musulmans dans le monde. Il est donc intéressant de constater schématiquement que, alors que la Turquie et le Pakistan – deux pays peuplés et influents dans le monde musulman – développent l’enseignement d’un Islam conservateur, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis réduisent l’accent autrefois mis sur la religion dans l’éducation, renforcent au contraire la place des sciences et prônent la tolérance religieuse ainsi que le dialogue inter-religieux (cf. en particulier la visite l’an dernier du Pape à Abou Dhabi). Le Qatar est lui dans la situation paradoxale d’avoir été un pionnier dans le Golfe de l’ouverture sociétale et du développement de l’éducation, mais de poursuivre en même temps sa politique de soutien à l’Islam politique et aux Frères musulmans.

  • En Arabie Saoudite, le prince héritier Mohamed ben Salmane a accentué la libéralisation engagée par le roi Abdallah en réduisant le rôle des religieux (en particulier la police religieuse), en diminuant le financement des activités wahhabites dans le monde, en améliorant la situation des femmes et en promouvant les loisirs dans un pays autrefois particulièrement rigoriste. Mais il a utilisé la manière forte pour lutter contre la corruption et contrôler le rythme de l’ouverture du pays. • Les textes de l’enseignement ont été épurés et les imams sont tenus de professer un Islam « du juste milieu ». Mais si MBS est clair sur les raisons de sa lutte contre le radicalisme religieux – inconciliable avec le développement économique du Royaume – il ne rompt pas avec une interprétation littérale (wahhabite) du Coran et des Hadiths quand il cite un verset appelant à « tuer les extrémistes ».
  • Au Qatar, l’éducation promeut les concepts de liberté démocratique, de droits de l’homme, de tolérance et de pluralisme, sans pour autant renoncer aux notions de Djihad et de martyr qui prévalent dans l’Islam politique.
  • Aux Emirats Arabes Unis, l’enseignement souligne que l’Islam politique – avec ses concepts suprémacistes et discriminatoires envers les minorités – crée un terreau favorable à l’extrémisme et à la violence, et doit donc être combattu.
  • En Turquie, l’autorité religieuse (Diyanet) a vu, sous la présidence d’Erdogan son budget multiplié par 23 et finance la construction de mosquées notamment dans les Balkans, en Afrique et même à Cuba.
  • La Fondation Maarif contrôle 323 écoles, 42 résidences universitaires et une université dans 43 pays. • Erdogan parle d’une « génération pieuse qui travaille à la construction d’une nouvelle civilisation ».
  • L’Iran agit dans le monde musulman en finançant des mosquées chiites et surtout en contrôlant les milices chiites dans son environnement (Moyen-Orient, Afghanistan, Afrique) qui sont ses instruments d’influence au sein du monde musulman. Ces évolutions divergentes des politiques d’enseignement de l’Islam sont importantes à suivre car les pays concernés jouent un rôle déterminant au sein du monde musulman et exportent leur vision de l’Islam par le financement d’institutions religieuses, culturelles et éducatives. S’ils sont concurrents, ils ont néanmoins un élément en commun : tous ces régimes sont autoritaires et préconisent l’obéissance absolue au dirigeant, ce qui est problématique pour notre idéal démocratique.
Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.