Haïti : renouer avec l’espoir malgré tout

09.07.2021 - Regard d'expert

Entre 1804, date d’indépendance d’Haïti et 1957, 24 chefs d’État sur 36 seront renversés ou assassinés. Entre 1957 et 1986, ce même pays aura connu 30 années de terreur, implacable et sanguinaire avec Duvalier père, puis sur un mode mineur avec le fils.

Enfin, la première expérience démocratique après 150 ans d’errements et 30 ans de dictature se soldera par une quasi-guerre civile : élu au suffrage universel en 1990, le Père Jean-Bertrand Aristide devra quitter le pays au bout d’un an. Son retour aux affaires deux ans plus tard n’y changera rien : la spirale de la violence s’enclenche pour une décennie. Le pays que je découvre comme ambassadeur de France en 2009 a bougé : l’ONU a rétabli la paix, les bandes armées ont été démantelées, des élections sont en cours de préparation, le président René Préval joue le jeu. Cette sortie de crise est certes bouleversée par le séisme de janvier 2010 qui endeuille tout une nation. Mais l’espoir, contre toute attente, demeure et le pays se reconstruit et durant les années qui suivront Haïti tentera tant bien que mal de s’inventer un autre destin : les investissements redémarrent, les touristes redécouvre la « perle de la Caraïbes ».

L’assassinat de Jovenel Moise, président contesté, marque symboliquement le retour à la case départ : après quatre années d’une gestion erratique, qui aura vu flamber l’insécurité, sur fond de délitement des institutions du pays, sa fin tragique rappelle les heures sombres du pays. Il rejoint ainsi la trop longue liste des présidents haïtiens n’ayant pu finir leur mandat. La France, ces dernières années, a été étrangement muette.

En s’alignant sur Washington, qui n’a eu de cesse de consolider la dérive autoritaire d’un régime à bout de souffle, d’idées et de légitimité, elle a pu donner le sentiment qu’elle tournait de nouveau le dos à son ancienne colonie, laissant ainsi dériver le seul pays francophone des Amériques, sourde aux appels à l’aide des opposants, des défenseurs des droits de l’Homme, des intellectuels et des écrivains, qui incessamment nous ont prévenu que la tragédie allait de nouveau s’inviter. Avec l’ONU et quelques pays « amis », il n’est pas trop tard pour témoigner notre intérêt et marquer un regain d’engagement en accompagnant un processus de sortie de crise qu’une grande partie des Haïtiens appellent de leurs voeux. Il est temps de rompre le sortilège et de sortir ce pays de « la marmite du diable » (l’expression est de Régis Debray).

Didier Le Bret
Didier LE BRET, directeur de l’Académie diplomatique et consulaire et ancien associé senior ESL & Network, est diplomate de carrière. Il est notamment nommé ambassadeur de France en Haïti en septembre 2009, fonction qu’il exerce jusqu’en décembre 2012. Durant sa mission, il aura eu à gérer et à coordonner la réponse française au séisme du 12 janvier 2010. Il dirige le Centre de crise du Quai d’Orsay de 2012 à 2015 avant d’être nommé Coordonnateur national du renseignement, auprès du Président de la République, fonction qu’il exerce de mai 2015 à septembre 2016.