Les observateurs, lucides du spectacle qu’offre actuellement la classe électorale allemande, s’attendent à un bis repetita lassant, c’est-à-dire une forme de psychodrame politicien dans lequel les principaux acteurs s’adonneraient à un jeu de mime aussi âpre que puéril, tout comme il y a quatre ans. Au risque de faire durer l’indécision sur l’issue de l’élection qui a lieu ce week-end bien au-delà de Noël.
C’est pourtant avec un beau geste que le coup d’envoi de la campagne avait été donné. Robert Habeck, le charismatique playboy quinquagénaire du camp écologiste, avait galamment accepté de céder sa place de candidat à la Chancellerie à sa jeune consoeur, Annalena Baerbock. Non sans bien vite changer de ton et se livrer à une saillie publique remarquée, rejoignant son adversaire qu’est le bruyant chrétien-social bavarois Markus Söder. Tous deux fustigeaient de la même voix « la nullité, autant que la bêtise » des débats conduits sur les tribunes et autres antennes des télévisions allemandes.
En a ttendant, A nnalena B aerbock e t O laf S cholz, l ’actuel vice-chancelier SPD (social-démocrate) et ministre des Finances d’une coalition en sursis, n’ont de cesse de louer les mérites d’une alliance rose, verte et rouge vif qu’ils projettent avec passion.
Cependant, ils n’excluent pas que cette alliance puisse cristalliser une union entre les sociaux-démocrates incarnés par Scholz, Die Linke à leur extrême-gauche et les Verts de dame Bearbock. Cet accord ne serait d’ailleurs pas forcément la fin du monde, dans la mesure où cette coalition, comme c’est le cas depuis 1959, abandonnerait toute référence au marxisme par les sociaux-démocrates ainsi que le ralliement de ceux-ci à l’économie de marché, alors qu’aujourd’hui les Verts allemands semblent souvent bien plus radicalement dogmatiques que leurs partenaires sociaux-démocrates sur ce registre.
Personne ne peut nier que, même si des néo-gauchistes radicaux issus de Die Linke rejoignent Scholz, les Verts sont verts de peau seulement, mais encore aujourd’hui rouge en leurs coeurs. Ce qui, depuis plusieurs lustres, est de moins en moins le cas de Scholz, aujourd’hui transformé en « realpolitiker » impénitent, après avoir été un dogmatique irréductible. En effet, comment oublier que lors du mai 68 allemand, Olaf Scholz, jeune socialiste roué et virulent se manifestait comme un prophète du déclin et de l’extinction d’un capitalisme moribond ? Le temps a fait son oeuvre, et l’actuel vice-chancelier allemand, autrefois féroce dénonciateur du « capitalisme monopolistique et oligarchique », ne croit plus lui-même à tout cela.
Cela n’a pas empêché Scholz d’envisager, il y a deux semaines, que l’actuelle gauche sociale-démocrate – convertie à l’économie de marché depuis des lustres – soit en mesure de déborder une droite chrétienne-démocrate bien peu combative, incarnée par Armin Laschet.
En effet, le candidat SPD, bénéficiant de six solides points supplémentaires apportés par Die Linke, vient de creuser amplement l’écart. Désormais, son dessein n’est plus aussi absurde qu’il y paraissait. D’où l’espoir, pour le leader social-démocrate, de séduire une frange post-soixante-huitarde incarnée par des dizaines de milliers de néo-marxistes disséminés parmi les militants d’une gauche allemande en mal de repères. Cette même gauche qui caracole à présent en tête de peloton, avec 25 % des suffrages. Ainsi, les sociaux-démocrates seraient donc prêts à se fondre pour continuer d’exister au sein de cette grande coalition rose, rouge vif, verte et noire. Au cas où le compte des suffrages n’y suffirait pas, ils pourraient même envisager de faire affaire avec les libéraux du FDP, un parti qui représente tout de même un capital de 10 à 12 points dans les sondages les plus récents. Pour résumer, tout cela permettrait, à leurs yeux d’éviter le spectre d’une grande coalition délétère similaire à celle qui dure depuis quatre ans.
A l’instant T, la partie semble donc se jouer au profit d’une coalition entre sociaux-démocrates, Verts et Die Linke.
Une autre possibilité serait la formation d’une alliance entre les Libéraux (2 à 16 % dans les sondages) et les chrétiens-démocrates (22 % dans les sondages) qui doivent néanmoins accepter les conditions posées par Christian Lindner, l’actuel chef du parti libéral.
Ces formations sont-elles en mesure de remonter miraculeusement la pente dans les prochains jours ? Sont-elles aussi disposées, malgré leur allergie envers les libéraux, à s’allier avec eux ? Nous connaîtrons la réponse ce 26 septembre 2021, en imaginant que les électeurs n’aient pas déjà été séduits par le couple Scholz / Baerbock.
Néanmoins, après avoir frôlé les 25 points il y a quelques mois, les Verts sont affaiblis par les naïvetés et les maladresses de leur chef, et se voient dégringoler à 16 points dans les sondages. La fragilité d’Annalena Baerbock est telle qu’il est imaginable qu’elle n’ait pas les moyens d’accepter les conditions que lui poserait Olaf Scholz dans le cadre d’une alliance rouge/jaune/vert. Dès lors, ses tractations la condamneraient à chercher refuge auprès d’une coalition noire (CDU)/jaune/vert.
Cela n’empêche pas Baerbock de rêver, pour peu que Scholz lui en laisse le loisir, et de s’imaginer gouvernant avec les sociaux-démocrates, et si possible sans Die Linke.
Quant au leader libéral (FDP) Christian Lindner, son seul programme consiste déjà à décliner toute forme d’endettement et de nouvelle pression fiscale. Il se voit comme le « faiseur de roi » d’Olaf Scholz qu’il consentira à servir en tant que Chancelier fédéral d’une coalition rouge/verte/jaune. L’ambitieux libéral s’imagine déjà lui-même promu, au titre de vice-chancelier, ainsi qu’à la tête d’un ministère des Finances qu’il convoite explicitement. Une hypothèse très plausible, si l’on se fie aux 16 % que Lindner représente actuellement dans les sondages. Effectivement, pour peu qu’il réussisse à glaner trois petits points supplémentaires, il serait même en mesure de déborder les lignes de la formation verte, pour l’instant figée dans la même zone des 16 points.
Entre-temps, le candidat chrétien-démocrate Armin Laschet ne cesse de sombrer vers les Abysses. Frisant les 36 % en janvier dernier, le score de cet ancien journaliste a sévèrement chuté sous la barre des 20 %. A u même moment, Scholz le rattrape allègrement, ce qui à une semaine du scrutin et vu l’indécision d’un électorat comptant encore 40 % d’hésitants, représente un écart difficilement rattrapable. Il reste à Laschet le plus délicat à accomplir, c’est-à-dire entamer le bouclage d’une coalition parlementaire viable, à l’issue d’ « un jeu qui relève, selon lui, d’une partie de Mikado consistant à l aisser tomber e t s’enchevêtrer u n paquet de baguettes. Avant de les retirer, une à une, sans faire bouger les autres » et qui, comme lors de certaines élections antérieures, pourrait s’éterniser.
Dans l’intervalle, c’est à Angela Merkel qu’il appartiendra d’administrer les affaires courantes jusqu’à l’élection de son successeur au parlement de Berlin, après avoir présidé et validé le dépouillement du scrutin devant désigner les membres du Bundestag.
On sait peu, à l’étranger, que cette élection est pour partie « majoritaire » et pour partie « proportionnelle ».
« Majoritaire », car chaque électeur a le droit de choisir une voix « majoritaire », dans sa circonscription. Mais à laquelle s’additionne une autre voix dite « de liste » qui s’ajoute alors au bénéfice d’un parti politique. Tout cela pour assurer cette portion de « proportionnalité » instaurée depuis 1949, en gage de stabilité et de moindre dispersion partisane.
N’oublions cependant pas que ces pronostics ne peuvent s’accomplir que si les juges d’instance du tribunal de Hambourg décident de ne pas rouvrir l’embêtant dossier judiciaire qui déstabilise Olaf Scholz. Il est reproché à ce dernier d’avoir, lorsqu’il était encore maire de Hambourg, obtenu que les dirigeants d’une banque locale aient pu frauduleusement se faire rembourser plusieurs fois la retenue fiscale à la source (25 %) liée au dividende, grâce à des montages financiers plus que douteux, et pour un total de 37 millions d’euros.