Le premier anniversaire de l’arrivée de la junte au pouvoir à Bamako remonte au 18 août dernier. Et plus d’un an plus tard, il est légitime de se demander ce qu’est devenue la grande et enflammée « geste » révolutionnaire qui s’était emparée du Mali au moment de la mise à pied du président Ibrahim Boubacar Keïta. Comme il l’est tout autant de s’interroger sur ce qu’est devenue l’ambition de construire un Mali nouveau pour les futures générations ? Finalement que reste-t-il du plan d’action du Gouvernement exposé en février 2021 par M. Moctar Ouane avec ses six axes, ses 23 objectifs et ses 275 actions ? Rien, absolument rien : les insécurités, sociale, économique, judiciaire, politique et sécuritaire grandissent partout ; les écoles ferment, l’économie bat de l’aile pour ne pas dire qu’elle est en état de mort clinique, les acteurs privés sont ignorés, l’État en est réduit à emprunter chaque mois de quoi payer ses fonctionnaires. Et les Maliens continuent de se battre quotidiennement pour gagner 1500 francs CFA (2,25 €), juste de quoi survivre. Dans le même temps, Bamako bruit d’intrigues et de cautèles pour prolonger la transition, voit l’arbitraire s’installer et la corruption reprendre ses aises.
C’est dans cette situation que viennent de surgir trois événements. Ces trois événements, qui n’ont finalement en commun que leur quasi parfaite coïncidence, viennent rappeler le Mali au bon souvenir de la communauté internationale, à commencer par la CEDEAO (communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest).
Dans l’ordre chronologique, c’est d’abord l’annonce par le président Macron de l’élimination du chef de l’Émirat Islamique au Grand Sahara (EIGS), Adnan Abou Walid al-Sahraoui. Il est le bourreau de plusieurs milliers de paisibles villageois, de leurs femmes et de leurs enfants dans cette zone des trois frontières, à cheval entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali. Nous entendons déjà d’éminents spécialistes affirmer que cela ne sert à rien, n’aura servi à rien si ce n’est à assouvir une forme de loi du Talion. Je crois au contraire – sans évidemment que cela ne règle définitivement la question de l’EIGS – que cela va déstabiliser et désorganiser ce groupe terroriste pendant quelque temps. Conjugué à la pression mise par les armées françaises depuis quasiment un an sur cette organisation, l’EIGS sort profondément affaiblie de cette séquence : ses effectifs de combattants ont fondu ; son recrutement s’est tari, sa renommée a pâli et ses ressources ont baissé. J’éprouve également une grande satisfaction à voir couronnées de succès la persévérance et la constance des armées françaises dans ce combat. Adnan Abou Walid al-Sahraoui avait été décrété « ennemi public numéro 1 » de la paix au Sahel par le président Macron. L’objectif majeur de la France dans son combat contre le lutte terrorisme au Sahel a été atteint.
Le deuxième événement dévoilé par les médias au cours du même tour de cadran de montre sont (seraient) les négociations en cours entre la présidence malienne et le groupe Wagner pour assurer la sécurité des autorités maliennes, participer à la formation des forces armées et lutter contre les groupes terroristes. Selon des informations ouvertes le déploiement d’un millier d’hommes pour dix millions d’euros par mois et un droit de préemption/exploitation de trois mines d’or seraient en cours de discussion. Il n’est pas inutile de rappeler que le groupe en question a fait l’objet, dans son action en République de Centrafrique, d’enquêtes menées par CNN et l’ONG « the Sentry » qui leur ont permis de rassembler les preuves de plusieurs cas de violations du droit international humanitaire voire de crimes de guerre. Mais, sans passer par cette étape, il apparaît bien improbable que les autorités de transition se risquent à un tel arrangement sauf à vouloir se rapprocher à grand pas de la roche tarpéienne. Remettre le destin de son pays dans les mains d’une société de sécurité privée – car c’est bien de cela qu’il s’agit – revient à prononcer l’éloge funèbre de l’État malien. C’est probablement aussi se priver des financements internationaux, dès lors que les bailleurs pourraient soupçonner que ces fonds pourraient financer un groupe de mercenaires. C’est aussi un camouflet pour la communauté internationale qui a investi tant et tant pour la crise malienne et qui saura s’en souvenir. Enfin, comment croire que l’armée malienne et notamment ceux qui sont « au front » accepteraient sans broncher que des mercenaires étrangers soient payés 30 fois plus qu’eux… Sauf, si les autorités de transition avaient perdu la raison, cet accord paraît bien improbable, quelle que soit la position (légitime) exprimée par la France et les conséquences qu’elle en tirerait.
Le troisième événement, lui aussi concomitant, est la réunion des chefs d’États de la CEDEAO à l’occasion du récent coup d’État en Guinée mais au cours duquel le cas du Mali a également été évoqué. Les décisions prises rompent avec les prises de position antérieures, plus enclines à une forme de confiance bienveillante dans les autorités de transition. Elles rompent par leur intransigeance, par le calendrier resserré des objectifs qu’elles fixent, par les sanctions qu’elles imposent et par les critiques qu’elles formulent sans ambages à l’encontre des autorités de transition.
Du hasard de la concomitance de ces trois événements et de la situation au Mali, il faut faire une chance.
Les conditions semblent désormais, ou à nouveau, réunies pour remettre la transition sur les rails. Cela passera bien évidemment par un dialogue entre la CEDEAO et les autorités de transition pour débattre des conditions de la transmission du pouvoir au président qui sera élu en février 2022 et au gouvernement qu’il formera ; pour discuter également de l’avenir des autorités de transition auxquelles des garanties devront être proposées. Cela passera également par une grande solidarité des forces vives maliennes, politiques, religieuses, syndicales et de la société civile pour franchir cette étape. Cela passera enfin, par un soutien de la communauté internationale aux actions entreprises par les Maliens et la CEDEAO tant il est vrai qu’une crise africaine doit avant tout être résolue par les Africains