D’un montant de 7,9 milliards d’euros pour la période 2021-2027, le Fonds européen de la défense (FED) doit permettre aux industriels européens de la défense de travailler sur des projets communs. Le 30 juin, la Commission européenne (CE) a lancé ses premiers appels à projets. Avec cette initiative, la CE entend renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne et lancer la planification d’une « Union européenne de la défense », comme en a récemment appelé de ses voeux sa présidente, Ursula von Der Leyen, lors de son discours sur l’état de l’Union le 15 septembre dernier.
Mais on peut toutefois s’interroger sur la cohérence de l’UE lorsqu’elle lance dans le même temps une série de projets de taxonomie de la finance durable qui viennent saper les efforts consentis. En effet, l’objectif de la taxonomie européenne est la création d’un système de classification de ce qui est considéré comme « durable » d’un point de vue environnemental et social1. Elle crée un cadre et des principes pour évaluer les activités économiques. Parmi les projets de mauvais augure pour la défense, on trouve notamment un règlement sur la taxonomie afin de définir la notion d’investissement durable, l’extension des critères dits « ESG » à de nouveaux critères sociaux (dont les droits de l’homme) ou encore la création d’un écolabel de finance durable dont seraient privés les organismes investissant dans des entreprises réalisant plus de 5% de leur chiffre d’affaires dans le domaine de l’armement2. Cette taxonomie doit permettre d’orienter les quelque 480 milliards d’euros d’investissements additionnels par an vers la transition écologique.
Cette dissonance dans les signaux envoyés inquiète le secteur de la défense et de la sécurité et interroge sur le bien-fondé de ce FED. S’il représente un budget conséquent et sans précédent dans l’Union européenne en termes de montant alloué à l’industrie de défense, le fonds ne se substituera jamais aux acteurs bancaires et financiers. Or, avec ses projets de taxonomie, l’UE envoie un message très fort au secteur bancaire selon lequel l’industrie de défense n’est un secteur ni d’avenir, ni durable et duquel les banques auraient plutôt intérêt à se détourner. En témoigne déjà depuis 2020 le constat alarmant des différents groupements et industriels quant à la frilosité marquée des banques à investir dans leur secteur.
Le projet européen de taxonomie a évidemment suscité la réaction des industriels de l’armement, des députés de la commission de la défense – tous appelant à protéger la base industrielle et technologique de défense (BITD) et de sécurité européenne des effets de cette taxonomie européenne mais également de la ministre des Armées. A l’occasion des Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence, Florence Parly, elle s’est exprimée sur le sujet : « On a potentiellement de quoi faire mais à une condition : c’est que l’Europe ne s’attaque pas, par le biais de la loi et de la jurisprudence, à des politiques sur lesquelles nous voulons investir en tant qu’européens. Et je pense, par exemple, à la taxinomie. Dire que le nucléaire est mal, c’est se tirer une balle dans le pied. Dire que les activités de défense ne doivent pas être financées par les organisations financières et les banques, au même titre que les activités pornographiques, c’est choquant! », a déclaré Mme Parly. « Et donc ça, c’est un combat aussi que nous devons mener au niveau européen », a conclu la ministre. Un de plus sur les sujets de défense…
Ce paradoxe de l’UE en appelle un autre. N’est-il pas paradoxal d’opposer les enjeux de sécurité et de défense aux enjeux environnementaux et sociaux ? La question de la protection des Etats et de leurs citoyens n’a-t-elle pas sa place dans le développement durable ? Notre protection n’est-elle pas aussi souhaitable que celle de l’environnement ? Cette schizophrénie met en exergue des visions qui s’opposent à Bruxelles entre des visions d’avenir différentes au sein même des institutions européennes. Et comme toute organisation, la Commission européenne est soumise à des
jeux d’influence et des « pressions » entre différents acteurs qui, chacun, jouent leur participation et défendent leurs intérêts : politiques nationaux, industriels, ONG, secteurs financiers. Alors que la France prend prochainement la présidence de l’Union européenne, des décisions fortes seront à prendre par Emmanuel Macron pour démontrer qu’il est tout à fait possible de concilier transition écologique et pérennité d’un secteur stratégique comme l’industrie de défense. Il en va de la crédibilité de la France et de l’Europe sur la scène internationale.