La partie était-elle jouée d’avance ? A vrai dire, Armin Laschet, le perdant désormais désigné, n’a jamais vraiment pu sérieusement compter sur son parti. En effet, il a été très vite considéré comme un deuxième choix, sans envergure, et ce, bien avant l’échéance du 26 septembre 2021. Très tôt déjà, la chancelière Angela Merkel a, sourdement, numéroté les abattis de l’infortuné candidat au magistère allemand suprême. En atteste à l’époque cette visite, perçue comme ambiguë et partiale, d’Angela Merkel, très souriante et valorisante, rendue in situ à Munich à Markus Söder, l’habile rival conservateur et ministre-président de la Bavière.
La messe n’était certes pas encore dite, mais la tiédeur de la chancelière à l’égard de Laschet est très vite devenue, au sein du parti chrétien-démocrate (CDU), un handicap inavouable, et ce, dès le début d’une campagne électorale dont les sondages envisageaient déjà l’échec potentiel d’un ministre-président de Rhénanie-Westphalie peu charismatique.
Dès le début 2017, Angela Merkel avait déjà fait preuve d’une attitude similaire en soutenant fermement Annegret Kramp-Karrenbauer, alias AKK, alors ministre-présidente de la Sarre. Cependant, en raison des bévues accumulées sur plus de quatre ans, cette jeune provinciale sans charisme, promue hâtivement à la fois présidente du parti chrétien-démocrate et ministre de la Défense par la chancelière, dut renoncer, au début du mois de février 2021, à ses deux titres, laissant, contrainte, la place à Laschet. Ces divers choix de la chancelière peuvent donc être considérés comme responsables du scénario catastrophe qui laissa la CDU sans chef de file. Cet épisode désastreux que dut supporter Armin Laschet fut dénoncé par un éminent analyste du Handelsblatt comme un « guillotinement. Sur fond d’éviction désordonnée de cadres et d’incapacité à prolonger un conservatisme un tant soit peu moderne. Ou surtout d’initier un mode de réconciliation au sein d’une Allemagne que sépare une faille Est-Ouest persistante ». Dans le même temps, une faille Nord-Sud se crée dans la mesure où l’élite bavaroise est encore humiliée. Il ne lui reste qu’à mieux préparer le terrain afin que d’ici quatre ans, lors du prochain rendez-vous électoral, un Bavarois puisse prétendre endosser la fonction de chancelier. Les méridionaux allemands en rêvent, bien qu’ils aient déjà été une fois déçus, en 1980, lors de l’unique tentative qu’avait, depuis 1959 (année de naissance de la RFA) tenté dans ce sens Franz-Josef Strauss.
Dans l’immédiat, tentons de comprendre le système électoral complexe de nos voisins en scannant les jeux de simulacres des six entités partisanes en compétition. Ces dernières ont pour rôle de régénérer, tous les quatre ans, un paysage politique dont – sans savoir depuis quand, ni même pourquoi – les tractations et tergiversations rituelles peuvent se prolonger sur des mois. Comme en 2017, cela est encore le cas cet automne, dans une débauche de couleurs que se sont auto-attribués les différents partis dès leurs fondations. Il y a d’abord les « rouges », en tête avec 26 points, des sociaux-démocrates, ex-révolutionnaires depuis qu’ils adhèrent à l’économie de marché. Puis, les « verts », avec 15,5 points, des écologistes dont les résultats ont été bien moins bons que lors de récents scrutins régionaux. Ils sont suivis des « jaunes vifs », un parti libéral de jeunes turcs, qui, à 11,5 points, sont pressés d’atteindre les sommets.
Deux versions colorées semblent alors être les plus plausibles :
– La première version formerait un « feu de signalisation » vert/ jaune/rouge, avec pour chancelier Olaf Scholz et une compétition acharnée pour le titre de vice-chancelier entre le fougueux libéral Christian Lindler et le Vert bien plus réfléchi Robert Habert.
– La deuxième version privilégierait une formule dite « jamaïcaine » affichant le noir/vert/jaune (drapeau de la Jamaïque). Cependant, cette formule n’est possible que si la première version se révélait caduque et qu’il y ait l’émergence d’un triumvirat, né d’une entente entre Laschet, Habert et Lindner.
Quoiqu’il en soit, ces tractations seront le théâtre d’un drame de portée historique, sur fond de rancoeurs tenaces entre des chrétiennes-démocraties septentrionale et méridionale plus que jamais disjointes, mettant en danger le vieux parti historique allemand.
La proche retraite politique d’Angela Merkel n’a pas eu le même impact médiatique chez ses compatriotes, voire même au sein de son fan-club national, que dans le reste de l’Europe où les médias, un peu mièvres, décrivent la chancelière en maman nunuche, Mutti en allemand, qu’elle n’a jamais été. En effet, si ses compatriotes admirent sa froide sobriété, ils n’hésitent cependant pas à l’affliger occasionnellement de sondages impitoyables.
Quant aux voisins de l’Allemagne, ils ont souvent été cueillis à froid par des décisions abruptes non concertées de Berlin, l’abandon hâtif du nucléaire ou l’accueil humaniste des réfugiés syriens en étant les plus paroxystiques. Tout cela pour mieux jouir d’un beau rôle permanent, en occultant le fait d’avoir hérité de son prédécesseur social-démocrate Gerhard Schröder d’une économie assainie et d’une compétitivité made in Germany. Cette dernière gonfla, jusqu’à nos jours, les exportations mirobolantes du pays à tel point que malgré les crises et la pandémie, la balance allemande des paiements, située en tête de liste européenne, alignait, en 2020, un solde positif de 183 milliards d’euros.
Il n’est cependant pas sûr que les annonces, qui ont pourtant fait grand bruit, des quelques start-ups allemandes avec des phénomènes du calibre d’Elon Musk permettent au pays de poursuivre en termes comparables. En effet, c’est avec effroi que les membres du comité exécutif de Volkswagen viennent de réaliser que la création de 10 000 emplois à Berlin par l’Américain, en entraînera la perte de 30 000 emplois à Wolfsburg, jusqu’alors capitale de l’industrie automobile allemande. Pour autant, Elon Musk continue son opération de séduction et il annonce déjà livrer les premières voitures électriques de sa giga-usine pour décembre prochain, malgré le fait qu’il n’ait pas encore de permis de construire.
Un chantier, plus crucial encore, est celui de l’absorption d’une dette due aux ravages du Covid et qui est de 2 173 milliards. Cette dette préoccupe les formations politiques les plus crédibles pour constituer un futur gouvernement, dont la tête sera Olaf Scholz. Sûr de sa future position, il n’a d’ailleurs pas résisté à se rendre le 13 octobre dernier à la réunion rituelle annuelle du FMI, sans pour autant révéler son plan qui consistera, dans les prochains mois, à répondre au défi de la dette en sollicitant l’Etat. Cet acte sera d’ailleurs difficile à faire avaler au libéral plutôt rabique qu’est son partenaire de coalition Christian Lindler, puisqu’il s’agira de fonder, sur la durée, des sociétés d’investissement public régionales, plus spécifiquement dans le domaine du logement, qui sont les seules susceptibles d’amortir la dette précitée. Dans le même temps, on peut observer que la presse économique allemande présente l’« Agenda 2030 » du président français comme un atout « jupitérien » potentiel, tout en assimilant, entre ironie et envie, la miniaturisation potentielle des réacteurs nucléaires d’un « amour fou » d’Emmanuel Macron pour le nucléaire.
A l’heure actuelle, les joutes et débats des compétiteurs sur la nature des coalitions de gouvernements qu’ils pourraient former entre eux – à trois ou quatre partis, voire plus – sont toujours en cours. Cependant, la moins grande diversité de panachages devrait, comparativement à 2017, rendre moins tardive l’annonce des résultats finaux, dans un contexte où ce seront bien les députés du Bundestag qui, solennellement et en séance plénière, choisiront le Chancelier de l’Allemagne.
Au prix, insistons-y, d’un drame de portée historique, sur un fond de rancoeurs politiques autant que politiciennes peu conciliables entre Nord et Sud, entre des chrétiennes-démocrates sobrement septentrionaux et luthériens au Nord et des méridionaux catholiques plus que jamais frustrés au Sud. Un danger de mort pour le vieux parti historique des chanceliers Adenauer, Erhard, Brandt, Schmidt, Kohl, Schröder et Merkel. La formation nordique du parti reproche amèrement à la méridionale de n’avoir point soutenu le candidat commun qu’était Armin Laschet. Un sondage réalisé à la sortie des urnes montre que l’écart entre la CDU et l’équipe sociale-démocrate de Scholz continue de se creuser, 18% pour le candidat du SPD contre 10% pour Laschet. Ce camouflet impardonnable pour la CDU est cependant la preuve qu’Angela Merkel semble avoir fait le bon choix en ne soutenant pas, du moins officieusement, Armin Laschet lors de la campagne