Le président Macron et la défense : Le point de vue du général Didier Castres
Le 22 septembre 2021, Robbin Laird et Pierre Tran de Second Line of Defense ont rencontré le général d’armée Didier Castres pour discuter de l’évolution des opérations et de la stratégie militaires sous le président Macron. Nous [Robbin Laird et Pierre Tran] avons eu une large discussion avec Didier Castres, examinant de nombreux aspects des défis de la gestion de crise pour les forces françaises et leurs alliés.
Sa connaissance approfondie des opérations nationales et en coalition a alimenté la discussion sur les défis importants auxquels les Etats occidentaux sont confrontés pour défendre leurs intérêts dans un contexte de changement stratégique. Vers la fin de notre discussion, nous nous sommes concentrés sur le président Macron et la manière dont il a abordé les crises, après avoir discuté de l’évolution du contexte stratégique des opérations militaires.
Il a souvent été noté que lorsque Macron est devenu président, il avait 39 ans et était le plus jeune président de l’histoire de France et le plus jeune chef d’État français depuis Napoléon. Mais M. Castres a ajouté quelques points clés du point de vue d’un officier militaire. Macron est de la nouvelle génération qui n’a pas servi dans la conscription nationale, ce qui s’applique également à la jeune génération au Parlement. C’est un contraste frappant avec le président Chirac qui a servi pendant la guerre d’Algérie et qui, sur la base de sa propre expérience, a averti le président George W. Bush de ce qui se passerait si les États-Unis envahissaient l’Irak. Par ailleurs, Macron est le premier président français né à l’ère de la mondialisation. La mondialisation de l’économie était une évidence pour lui et sa génération. Cette mondialisation, ces prédécesseurs l’ont vue arriver ; mais lui est né dedans. Macron a hérité de crises et a participé à des actions de coalition, mais il s’est plutôt engagé à modifier ou à remodeler des engagements, plutôt qu’ à en initier.
Macron s’est engagé dans la gestion de crise dès le début de son mandat et a adopté une approche que les Britanniques et les Américains appellent une approche « whole of government ». Les séances de son Conseil de défense et de sécurité nationale ne se sont pas limitées à l’armée, à la politique étrangère ou aux services de renseignement. Il a inclus les ministres de la Justice, de l’Éducation et d’autres en fonction de la crise. Du point de vue de Macron, la gestion de la crise n’est pas principalement une opération uniquement militaire ou dirigée par les militaires.
Mais cela soulève la question plus large de savoir comment s’engager dans la gestion de crise du monde tel qu’il est et non du monde que nous pourrions souhaiter.
L’environnement stratégique est en train de changer de manière significative. Les concurrents ou adversaires autoritaires s’efforcent d’utiliser la guerre de l’information, les cyber conflits, les opérations en zone grise et d’autres moyens pour atteindre leurs objectifs tactiques et stratégiques. Comment allons-nous réagir ? Comment allons-nous utiliser des moyens militaires et autres pour contrer ces opérations ?
Une façon d’envisager le défi est de se concentrer sur l’adversaire qui utilise la force létale jusqu’au niveau nécessaire pour atteindre ses objectifs, mais sans générer de conflit militaire conventionnel significatif. Comment contrer les opérations létales et maîtriser avec succès la gestion de l’escalade ?
L’un des principaux défis auxquels sont confrontés les États occidentaux est la forte dépendance à l’égard des coalitions pour façonner les engagements. Le problème a été observé en Afghanistan, a déclaré M. Castres, où les Américains se sont concentrés sur la cohésion d’une coalition de 30 ou 40 nations. Comme il l’a fait remarquer : « Il peut y avoir une cohésion, mais il n’y a plus d’objectifs communs pour l’opération ».
Les coalitions sont construites autour de l’interopérabilité. D’une part, il y a la question de l’interopérabilité militaire, pour que les forces des différentes nations puissent travailler ensemble. D’autre part, il y a le défi plus difficile de l’interopérabilité culturelle. En ce qui concerne l’interopérabilité culturelle, M. Castres a souligné que les différentes nations ont des traditions, des histoires et des attentes différentes en ce qui concerne l’utilisation de la force militaire. Cela signifie que la nature de la coalition mise en place définira les objectifs militaires qui peuvent réellement être atteints.
Il a fait remarquer que pour les militaires, il était important d’avoir des objectifs clairs pour l’utilisation de la force. Les militaires comprennent qu’ils ne sont pas engagés pour simplement éliminer un ennemi, mais « pour créer les conditions d’une résolution politique d’une crise ».
« Cela signifie qu’il doit y avoir une discussion franche et honnête entre les politiciens et les chefs militaires sur ce qui est réaliste en termes de ce que l’armée peut réaliser. Nous ne voulons pas que les chefs militaires s’engagent dans le flou et la duplicité en ce qui concerne ce que les militaires peuvent et ne peuvent pas faire. Les objectifs fixés en Afghanistan étaient totalement irréalistes en termes de transformation du pays ; un objectif réaliste consiste à réduire la capacité des terroristes à opérer en dehors de l’Afghanistan, et il existe des moyens militaires pour y parvenir. Mais la transformation d’un pays n’est pas une opération militaire en soi ».
Castres a fait valoir que l’espace de combat est en train de se transformer avec la guerre de l’information, les cyber engagements et d’autres moyens visant à gagner la guerre sans combattre.
Cela signifie que l’engagement français en Afrique, par exemple, consiste autant à engager et à gagner une guerre de l’information qu’à contrôler un territoire et à éliminer les bastions terroristes.
Il a affirmé qu’en ce qui concerne les opérations africaines de la France, l’objectif de Macron a été d’aider les nations africaines à créer les conditions dans lesquelles leurs territoires ne fonctionnent pas comme des refuges internationaux pour le djihadisme, et de le faire sans une forte présence permanente de forces occidentales. Cet objectif est difficile, mais il a été poursuivi à travers trois missions. La première s’inscrit dans la lignée du SOCOM américain en Syrie, en Irak et en Afghanistan, à savoir la traque des chefs terroristes. La deuxième est de construire et de soutenir des partenariats opérationnels avec les troupes françaises et européennes qui vont au combat avec les troupes africaines. C’est ce que l’on a constaté dans les opérations françaises Barkhane et européennes Takuba. La troisième est de fournir une garantie française de soutien aux nations africaines avec des troupes de réaction rapide et un soutien par drones, chasseurs et hélicoptères.
Les Français sont en mesure de mener de telles interventions en raison de l’ADN des opérations expéditionnaires inhérent aux forces françaises. Castres a cité une célèbre déclaration britannique qui capture l’esprit expéditionnaire : « bougez maintenant, les ordres suivront ». Les forces françaises en sont capables de se déplacer plus rapidement que les autres nations européennes après une décision présidentielle de se rendre dans une zone d’intérêt. Il a également noté la capacité des forces françaises à s’adapter aux populations et aux situations locales en Afrique comme un avantage dont disposent les Français.
En bref, le président Macron a été président alors que la mondialisation a vacillé, que le conflit avec ISIS et d’autres organisations terroristes a été persistant et que la dynamique de la coalition a été définie par l’Afghanistan, l’Irak et l’Afrique. Le défi consiste à tracer une voie pour la France au sein de ses alliances basées sur la coalition avec l’UE et l’OTAN.
Ce qui est clair, c’est qu’assurer cette logique militaire et de coalition est crucial pour façonner une voie d’avenir pour la France afin de répondre à ses intérêts nationaux.