Pour comprendre la crise ukrainienne, il faut sans doute partir de ce que l’on sait de manière à peu près certaine.
Sur la psychologie de Vladimir Poutine, d’abord. En se fondant sur ses actes passés (annexion de la Crimée, guerre de faible intensité et par proxy dans le Donbass, intervention déterminée en Syrie, mais avec une faible empreinte au sol), on voit le type de guerre que le Maître du Kremlin est prêt à mener : efficace, mais sans y laisser trop de plumes, relativement peu coûteuse et limitée dans le temps. Ceci devrait nous éloigner d’un scénario de type conflit généralisé, avec occupation durable et massive du territoire ukrainien par les armées russes, dont le coût politique, moral et financier serait disproportionné par rapport aux attentes de Poutine.
Ses attentes justement, quelles sont-elles ? La plus importante sans doute : tenir une promesse faite dès son arrivée au pouvoir : ne pas reconstituer l’URSS à l’identique mais ne pas non plus accepter le statu quo hérité de la dislocation de l’Empire russe. L’Ukraine en est la pièce maîtresse : berceau de la Russie et principale « zone tampon » entre la Russie et l’Europe, Poutine ne renoncera pas à sa volonté de « finlandisation » de l’Ukraine, tant que l’OTAN ne renoncera pas à envisager l’intégration de Kiev dans son dispositif militaire.
La difficulté est là. Les Américains ne pensent pas sérieusement intégrer l’Ukraine à l’alliance, et moins encore la mettre sous le parapluie de l’article 5 du Traité (le mécanisme de solidarité et de défense collective). Mais ils ne peuvent pas non plus accepter le diktat de Moscou, à la fois dans son principe (les Etats doivent demeurer libres de choisir leurs alliances), mais surtout en raison de la perte de crédibilité qu’ils pourraient essuyer en cas de lâchage rapide de la cause ukrainienne. Ce serait sans doute la dérobade de trop vis-à-vis de leurs alliés après la reculade d’Obama en Syrie.
Les gesticulations américaines visent toutes pour l’essentiel à conforter ce message : nous ne voulons pas la guerre, mais nous devons rester conséquents. C’est le sens de la mise en alerte de 8 500 hommes, avec l’évacuation du personnel diplomatique américain à Kiev (rendre crédible un scénario d’intervention), mais l’essentiel du message est ailleurs : dans le choix privilégié jusque-là, des sanctions économiques qualifiées de « sévères ».
Dans cette partie de poker menteur, Poutine a des atouts. Il sait que désormais, il est pris au sérieux. Il a aussi des faiblesses : son PIB, qui ne dépasse pas celui de l’Espagne et qui le contraint, sa dépendance à ses clients pour les achats de gaz, une nette érosion enfin de son soutien populaire, des classes moyennes notamment qui n’ont pas oublié le coût humain des guerres perdues (syndrome afghan).
L’issue ? Difficile à pronostiquer, mais une fois les exercices militaires conjoints avec la Biélorussie achevés courant février, on ne peut exclure que Poutine renforce la stratégie arrêtée dans l’Est de l’Ukraine, en s’engageant plus nettement encore sur le volet cyber offensif, visant à déstabiliser le régime ukrainien, sans pour autant avoir à intervenir massivement. Parallèlement, il peut tenter de franchir d’autres seuils, en mer d’Azov par exemple, en en prenant complètement le contrôle. Une fois empochés ses nouveaux gains territoriaux, logiquement Vladimir Poutine pourrait se remettre à la table des négociations. Ce scénario « rationnel » est souhaitable. Il n’est pas pour autant certain.