Sept points de croissance du PIB pour la France en 2021, mais seulement 2,8 points pour l’Allemagne : Les Allemands cherchent des explications
Avec une croissance de 7 % de son PIB en 2021, la France a surpris, voire intrigué, ses proches concurrents, et en premier lieu ses voisins allemands. Ces derniers sont habitués à rafler ce trophée en alignant systématiquement de très bonnes performances. Cette année, les Allemands devront se contenter de 2,8 pauvres points de croissance, mais soulignent que leurs bons amis français ont tout de même attendu 52 ans pour enregistrer un tel score de 7 points de croissance de PIB… Afin de mieux comprendre ces performances respectives, une remise en perspective s’imposerait donc lors du nouvel exercice de 2022.
De prime abord, cette sous-performance allemande en 2021 témoigne de la profonde déstabilisation des pays européens, soumis à des trous d’air de conjonctures imprévisibles, aux fluctuations désordonnées d’incessantes improvisations étatiques, et plus encore à la recherche de cohérence oubliée.
C’est ainsi que fin 2021, 75 % des chefs d’entreprise allemands déploraient de grandes difficultés d’approvisionnement en matières premières et autres pièces fabriquées. Ces problèmes auront pour effet, à en croire la prévision 2022 validée par les instances de l’industrie automobile allemande, de réduire par exemple d’un quart la production de véhicules made in Germany.
Néanmoins est apparue l’idée que la situation pandémique pourrait s’améliorer en milieu d’année. Cela permettrait alors aux entreprises de débloquer massivement des investissements – qu’elles avaient prudemment immobilisés en 2021 –, particulièrement dans les secteurs des biens d’équipements et autres machines-outils, dans lesquels nos voisins continuent d’exceller. L’accent pourrait également être mis sur des branches d’activités facilitant les flux d’affaires, servant la lutte contre le réchauffement climatique, et la mutation digitale. Par un cycle d’investissements jugé imminent, les industriels allemands parient ainsi sur un proche effet de reprise bénéfique dans ces secteurs – comme cela a pu se passer dans le secteur du bâtiment en 2021.
En parallèle, et bien qu’ils espèrent remplir à nouveau leurs carnets de commandes d’ici quelques mois, nos voisins sont, dans l’immédiat, très actifs pour développer et pousser à des partenariats complémentaires fructueux. C’est par exemple le cas dans le domaine des semi-conducteurs, avec une alliance stratégique et industrielle entre Volkswagen et Bosch.
Sur fond de relance et au titre d’une compétitivité réamorcée, nos proches voisins ont donc relancé ce qu’ils savent faire le mieux, et ce, malgré un manque persistant de bois, d’aluminium, de matière isolante ou de cet anti-polluant chimique (Adblue) visant à restreindre les émissions d’oxyde de carbone des moteurs thermiques.
Pourtant, parmi les 48 Institut der deutschen Wirtschaft (IW) – Instituts économiques allemands – dispersés sur l’ensemble du territoire allemand, aucun n’a osé augurer de la moindre récession. Selon les experts de ces instituts, cela tiendrait à la convergence de trois facteurs clés :
- Un effet de rattrapage dans la mesure où le niveau d’activité d’avant la crise du Covid n’est pas encore retrouvé ;
- La non-résolution dramatique des problèmes de livraisons de matériaux et autres équipements et substances essentielles introuvables ;
- L’existence d’un lot considérable de commandes antérieures, en mal de traitement par des équipes débordées.
C’est ainsi que parmi ces nombreux instituts d’observations et d’analyses économiques (Wirtschaftsverbänden) que compte l’Allemagne, l’heure est à une très forte mobilisation autour de projections de croissance économique très prometteuses. Rien que pour 2022, les niveaux de production estimés sont bien supérieurs à ceux de 2021, notamment dans les secteurs essentiels de la chimie, la pharmacie, l’aviation, le bâtiment, l’électricité, l’artisanat, les commerces de détail, le tourisme ou encore l’immobilier. Un phénomène de type « carton plein » qui profite surtout – grâce aux commandes de l’étranger –, aux quatre secteurs rois tels que la production à flux tendu de machines-outils toujours aussi prisés et indispensables où que l’on soit en terre allemande. Les chefs d’entreprise mobilisés sur ces terrains estiment cependant que des brigades virtuoses de Maschinenbauer et autres Feinmekaniker – comprendre mécaniciens-ingénieurs de précision dans l’art de conjuguer mécanique et informatique – doivent rapidement être recrutées. Sans elles, rien n’est possible dans ces domaines d’hyper-excellence de l’économie allemande. Ainsi, de Hambourg à Munich, en passant par Cologne, les patrons allemands sont contraints de faire la chasse des meilleurs Maschinenbauer de machines-outils made in Germany.
Ces projections optimistes issues du terrain auront des impacts en termes d’investissements potentiels, notamment sur le champ prometteur des exportations – particulièrement les exportations de machines-outils allemandes dont le monde entier ne peut se passer. En effet, celles-ci s’avèrent, encore et toujours, des concentrés de savoirs techniques permettant à leurs clients de fabriquer d’autres richesses, au prix d’un effet démultiplicateur mondial essentiel. Ce phénomène a été particulièrement regretté lors de ce vide endémique qui a déstabilisé le système marchand allemand pour plusieurs longues années.
Cette relance est donc saluée par Jürgen Stephan, le stratège allemand incontournable de ces secteurs. Il note que « les capacités de production des très prisés vendeurs de machines-outils sont couvertes à 100 % ». Il ajoute qu’en raison de taux d’intérêts très bas, les liquidités des opérateurs allemands dans ce secteur d’activités ont rarement été aussi favorables. Ces dernières atteignent désormais 688 milliards d’euros pour un secteur comptant 1,3 millions d’entrepreneurs.
Face à ces urgences d’opérations à l’export et de recrutements qui s’imposent, ce sont les qualifications universitaires de haut niveau ou issues de l’engineering qui manquent déjà le plus en Allemagne. S’ajoute à cela, le déploiement par Robert Habeck, vice-chancelier et ministre fédéral de l’Économie et du Climat, d’un plan d’urgence sur le climat. Ce plan afin de réduire drastiquement les émissions de carbone du pays, consisterait à réserver 2 % du territoire de chaque Land à l’installation d’éoliennes terrestres d’ici 2030. En parallèle, les trois dernières centrales nucléaires allemandes doivent cesser leurs activités au plus tard d’ici 2022, au prix d’un regain de gaz russe. Tout cela pour atteindre, avec l’abandon du charbon en 2038, une neutralité carbone en 2045. « Une tâche gigantesque », ainsi que l’appréhende Robert Habeck.