Y a-t-il un risque de « conflit Est-Ouest » dans la Zone Afrique du Nord – Moyen Orient ?

11.02.2022 - Regard d'expert

La visite à Abou Dabi du Président israélien – suite aux accords d’Abraham – marque une nouvelle étape dans le développement de la coopération israélo-émirienne.

Naturellement, ce nouveau partenariat reste relativement discret sur ses réalisations concrètes, à la fois parce qu’il porte sur des domaines sécuritaires et technologiques, mais aussi car les Émirats Arabes Unis n’ont pas intérêt à être trop visibles sur un dossier qui reste sensible dans les opinions du monde arabo-musulman. Et les attaques Houthies sur Abou Dabi montrent que l’Iran – qui soutient les rebelles yéménites – ne se privera pas, si nécessaire, d’utiliser l’argument de la trahison de la cause palestinienne comme moyen de pression sur les Émirats, en dépit du dialogue bilatéral engagé.

Il faut relever aussi la visite du ministre israélien de la Défense à Rabat, qui marque une étape significative dans la coopération israélo-marocaine. L’Algérie l’a naturellement critiquée en la présentant comme une trahison de la cause palestinienne. Or, le rapprochement israëlo-marocain est – outre une « rémunération » de la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental – aussi une conséquence de la montée des tensions entre Alger et Rabat. Les Marocains ne peuvent en effet que regarder avec préoccupation le développement considérable des capacités militaires algériennes (en matériel essentiellement russe et chinois) qui, associé à une posture politique de confrontation – rupture des relations diplomatiques – font craindre à Rabat une possible escalade. D’où la visibilité donnée à la visite au Maroc du ministre israélien de la Défense et la signature à cette occasion d’un accord militaire, utilisées par les Marocains comme un élément dissuasif à l’égard d’Alger.

Ces développements donnent le sentiment d’une extension au Maghreb de l’opposition entre les deux axes antagonistes – Chine/Russie/Iran et États-Unis/Israël/Golfe – qui s’affirment au Moyen Orient.

Dans ce contexte, il est intéressant de noter le positionnement particulier du Qatar, qui développe une stratégie de médiation – manifeste dans la relation avec les Talibans. Il faut aussi relever que Doha n’a pas signé les accords d’Abraham ni réouvert son ambassade à Damas, ne s’alignant ainsi sur aucun des deux axes cités.

Est-ce le prélude à un positionnement du Qatar comme un médiateur éventuel – de concert avec l’administration Biden qui vient de lui accorder le statut d’« allié majeur des États-Unis non-membre de l’OTAN » – dans la perspective d’un arrangement régional au Moyen-Orient en cas d’accord sur le nucléaire iranien ? Il est naturellement trop tôt pour le dire, mais le « grand jeu » régional est bien engagé.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.