La relation entre la France et l’Allemagne, est au cœur de la construction européenne. Il n’est pas besoin de s’attarder sur les raisons historiques, géographiques, politiques, économiques qui l’expliquent, en particulier dans un contexte européen que le Brexit a modifié dans des proportions aussi profondes qu’impensées.
Pourtant, alors que le traité d’Aix-la-Chapelle vient de fêter discrètement son deuxième anniversaire, la réalité de la relation franco-allemande doit être interrogée. Pas seulement en raison d’un changement de majorité politique en Allemagne et dans la perspective des élections présidentielles françaises du printemps. La vraie raison est autre : la relation entre Paris et Berlin est plus difficile que l’on voudrait parfois le croire, notamment côté français.
Au plan sémantique, Français et Allemands envisagent cette relation de manière différente. Le terme « couple » employé en France n’est pas du goût allemand. En Allemagne, l’on préfère parler de « partenariat » franco-allemand. C’est inscrire dans les mots une première réalité d’importance : Berlin regarde cette relation de manière beaucoup plus rationnelle, moins affective que Paris. Berlin pense à ses intérêts et s’efforce de les définir. Paris se refuse souvent à définir les siens, se réfugiant derrière une posture pro européenne irréfragable.
S’il n’est pas, selon l’expression, d’amour, mais des actes d’amour, la dégradation de la relation franco-allemande au cours des dix dernières années est spectaculaire. L’Allemagne a multiplié les actions unilatérales, sans considération pour la France. En 2012 la décision de sortie du nucléaire civil, qui interdit toute politique énergétique européenne, a été prise sans consultation de Paris. Le combat mené ces derniers mois par Berlin contre l’inscription du nucléaire dans la taxonomie s’inscrit dans cette veine. A l’été 2015, la France a dû opposer son véto à la sortie de la Grèce de l’euro, dont Berlin avait convaincu 14 autres Etats membres de la zone euro. En septembre 2015, la décision allemande de faire venir des migrants de Syrie, créant un schisme européen profond et durable entre l’Est et l’Ouest du continent, a été très mal vécue par la France, qui n’a pas pu s’y opposer. Au plan stratégique, l’Allemagne, c’est son droit, a opposé des refus parfois peu diplomatiques à la vision géostratégique portée par la France en matière de politique de défense, privilégiant l’Otan.
Plus fondamentalement, l’on a vu au cours de la dernière décennie, l’Allemagne progressivement s’imposer comme la puissance dominante dans les institutions européennes alors qu’elle reconstituait habilement sa sphère d’influence traditionnelle en Europe centrale et orientale. Cette évolution doit certes largement à un patient travail de la part de Berlin et à la dégradation progressive de la position de la France, affaiblie par l’absence de réforme de son économie et par une incapacité chronique à faire avancer ses intérêts dans une Union européenne de plus en plus anglo-saxonne dans son fonctionnement.
Tout n’a cependant pas été complètement négatif dans la relation franco-allemande. Et si une hirondelle ne fait pas le printemps, il faut relever ici que c’est bien à l’initiative commune de la France et de l’Allemagne que le plan budgétaire 2021-2027 New generation a été adopté. Or, ce plan est d’importance. Non pas par ses montants, très limités. Son importance tient au fait que pour la première fois, l’Allemagne a accepté le principe d’un endettement commun avec les autres États de la zone euro. C’est dire que des avancées fédérales sont encore possibles.
Alors que dire pour l’avenir ? Le point essentiel nous semble être le suivant : l’Union européenne ne peut survivre – et ce n’est d’ailleurs pas nécessairement l’intérêt de la France – à la domination d’un seul de ses Etats membres. Or, c’est bien la réalité de la situation actuelle, que les trajectoires économiques et budgétaires de l’Allemagne et la France vont accentuer dans les années à venir au détriment de cette dernière. La France de 2022 est profondément affaiblie par rapport à l’Allemagne, avec un déficit extérieur record et des finances publiques très dégradées, alors même qu’une remontée des taux est un danger aussi grand que largement inéluctable.
Dans un tel contexte, le rétablissement d’une bonne relation entre la France et l’Allemagne passe par une priorité : que la France remise des ambitions non partagées par la plupart de ses partenaires européens, et qu’elle fasse enfin ce qu’elle a différé au cours des vingt dernières années, c’est-à-dire réformer son économie. Ceux qui aiment l’Union européenne en Allemagne n’attendent d’ailleurs que cela…