Lors du vote au Conseil de Sécurité de l’ONU sur la résolution condamnant l’agression russe en Ukraine, les Emirats Arabes Unis se sont abstenus, comme la Chine.
De même, suite à un échange téléphonique entre le Président de la République et le prince héritier d’Arabie Saoudite, Riyad a réaffirmé publiquement – dans un communiqué publié par l’agence officielle Saudi Press Agency – son attachement à l’accord OPEP + avec la Russie.
Est-ce à dire que les pays du Golfe se démarquent de la position des Etats occidentaux sur l’Ukraine ?
Ce qui est clair c’est que l’Ukraine n’est pas un pays prioritaire pour les pays du CCEAG, même si l’Arabie y a investi dans des terres agricoles pour renforcer sa sécurité alimentaire. En revanche, la Russie est perçue, depuis son engagement militaire en Syrie, comme un acteur incontournable au Moyen Orient. Elle est en outre un partenaire essentiel dans le secteur énergétique et cherche à développer sa coopération avec les pays du Golfe dans les secteurs de l’armement et du nucléaire.
La réaction d’Abou Dabi et de Riyad reflète par ailleurs leur distanciation avec l’administration Biden et leur partenariat croissant avec la Chine.
On peut cependant distinguer les positions des Emirats Arabes Unis et de l’Arabie Saoudite.
Abou Dabi, depuis le départ de la Maison Blanche de Donald Trump – dont Mohamed ben Zayed était un interlocuteur privilégié – s’est engagé dans une politique de diversification de ses partenaires en développant sa coopération avec Israël et avec la Chine ainsi qu’en renouant avec Damas et Ankara. L’objectif est clair : compenser ainsi la perte de confiance dans la fiabilité de l’administration américaine actuelle.
Pour l’Arabie Saoudite, la question se pose dans des termes différents. Certes, la complicité avec Washington s’est distendue, mais la relation stratégique entre les deux pays reste une donnée de base qui se fonde sur une « vie commune » de plus de 80 ans. Le royaume se transforme rapidement à l’intérieur, mais sa politique extérieure évolue plus lentement : en cas de problème dans le Golfe, c’est la puissance militaire américaine qui garantit toujours la sécurité du royaume face à l’Iran ; le rapprochement officieux avec Israël est un fait mais ne va pas jusqu’à une reconnaissance diplomatique, tant qu’une solution acceptable ne sera pas trouvée au problème palestinien (en raison du sentiment de l’opinion publique saoudienne et de la responsabilité particulière du Gardien des Lieux Saints de l’Islam) ; la relation avec la Russie est nécessaire — du fait de son réengagement au Moyen Orient — mais ne se développera que si Moscou se distance plus de Téhéran ; la coopération avec la Chine continuera de se développer, car Pékin est le premier client de l’Arabie ; l’Europe et la France sont des voisins et des partenaires qui demeurent importants politiquement, économiquement et culturellement pour le royaume.
Bref, face à la guerre en Ukraine, Riyad choisit de ménager ses différents partenaires. Mais l’Arabie Saoudite est aussi consciente qu’elle est le seul pays disposant de la capacité d’accroître significativement sa production pétrolière pour éviter une explosion des cours, en jouant ainsi son rôle traditionnel de régulateur du marché du brut. C’est un atout qu’elle a en main.
En outre, la crise actuelle renforce ses moyens financiers tirés du pétrole.
En somme, la guerre en Ukraine contraint Riyad à une certaine prudence, mais fait de l’Arabie un partenaire important pour les différents protagonistes.
De même, la recherche par l’Europe d’une diversification de ses fournisseurs en gaz crée une opportunité pour le Qatar, qui accroît sa production de GNL.
La crise actuelle a donc pour effet indirect de souligner l’intérêt qu’a l’Europe — dans son effort pour renforcer son autonomie stratégique — de continuer à développer sa coopération avec les États du Golfe.