A trois jours du scrutin, il est vrai de dire que nous venons de vivre une drôle de campagne. Très courte, perturbée par la très longue crise sanitaire et maintenant par la guerre en Ukraine aux frontières de l’Union Européenne, un candidat Président, plus Président que candidat, peu de débats, peu de grands meetings, bref une campagne qui a suscité de grandes frustrations auprès des Français. A 3 jours du scrutin, 75% malgré tout disent s’y intéresser mais c’est 7 points de moins qu’en 2017 ce qui peut faire craindre une abstention importante. 69% se disent certains d’aller voter contre 73% en 2017. Le record d’abstention de 2002, 28,4 % sera-t-il battu ? Voilà un premier enjeu pour notre démocratie.
Parmi les motifs de désaffection, les Français interrogés disent qu’on ne parle pas assez de leurs problèmes au cours de cette campagne et qu’ils ont du mal à trouver des candidats proches de ce qu’ils pensent. Ce constat peut paraître curieux parce qu’interrogés sur leurs préoccupations, ils citent dans l’ordre : le pouvoir d’achat (56%), l’environnement (26%), le système de santé (26%), l’immigration ( 24%), les retraites (24%) qui sont autant de thèmes abordés quotidiennement par les différents candidats.
L’éventail des programmes des douze candidats paraît assez large de l’extrême gauche à l’extrême droite pour que chacun puisse y retrouver ses petits. D’où vient donc ce sentiment bizarre de déjà vu, de lassitude, de manque profond d’intérêt ? Il vient et s’explique d’abord par l’état d’esprit général de nos concitoyens. A la question : quels sont les mots qui caractérisent le mieux votre état d’esprit ? Les Français répondent inquiétude, incertitude, fatigue. On ne dira jamais assez combien la succession de ces deux crises majeures sanitaire et ukrainienne a pu peser sur le moral des Français.
On peut se rassurer en voyant que les sentiments de colère et de révolte apparaissent très loin dans ce classement, semblant éloigner les risques de troisième tour de l’élection présidentielle dans la rue.
L’autre raison de l’éloignement ou du manque d’intérêt des Français pour cette élection vient à mon sens du fait que l’impression de déjà-vu n’est pas simplement une impression. On rappellera simplement que 7 candidats sur 12 à l’élection de 2022 étaient déjà candidats en 2017. Là où Macron symbolisait en 2017, rupture, remise en cause des clivages droite-gauche, modernité, 2022 paraît bien terne – hors l’irruption, un peu ratée, d’Eric Zemmour dans le jeu politique. Il reste malgré tout le seul élément un peu neuf de la situation politique de cette campagne.
Cette drôle de campagne se caractérise dans sa dernière ligne droite par une exacerbation du vote utile dans chaque camp.
Emmanuel Macron, sur la défensive, aura néanmoins réussi à empêcher toute renaissance d’une gauche de gouvernement, étouffée dès 2017, et incapable de rebondir autour d’EELV et de Yannick Jadot et encore moins avec la candidate socialiste Anne Hidalgo qui frise le zéro pointé au sens propre et au sens figuré.
Emmanuel Macron aura aussi réussi, et c’était plus difficile, à vampiriser la droite républicaine. Faute d’espace politique, minée par l’absence de soutien de Nicolas Sarkozy, concurrencée sur les thèmes régaliens par l’extrême droite, Valérie Pécresse perd chaque jour un peu plus d’électeurs au profit du Président sortant sous l’effet du vote utile. Au soir du premier tour, l’appareil LR explosera en vol, on peut en être sûr.
On assiste au même phénomène massif de vote utile à l’extrême droite. Le décrochage attendu entre les deux candidats devait se produire. Il est intervenu tardivement et pas nécessairement de la manière prévue.
Éric Zemmour, empêtré dans des positionnements extrémistes sur Vladimir Poutine, la Russie, la guerre en Ukraine et plus encore sur ses conceptions de notre société, a fini par se caricaturer lui-même et a contribué, à son corps défendant, à bâtir une image de Présidente de la République, plus calme, plus équilibrée, force de propositions, à Marine le Pen qui n’en demandait pas tant et qui en profite dans ces derniers jours de campagne.
On assiste enfin au même phénomène à gauche, où la mécanique du vote utile joue de manière accélérée au bénéfice de la dynamique créée par Jean Luc Mélenchon, candidat de la France Insoumise. Elle ne sera sans doute pas suffisante, sauf énorme surprise, pour lui permettre d’accéder au deuxième tour de l’élection présidentielle faute d’avoir su œuvrer à la réconciliation ces dernières années de la gauche de révolte et de la gauche de gouvernement.
Ainsi donc à trois jours du scrutin, s’annonce a priori un second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Il est amusant de constater que c’était le schéma initial annoncé il y a déjà un an. Tous les éléments de perturbation, tous les chocs extérieurs, toutes les crises n’y auront finalement rien changé. Tout le monde nous disait que les Français ne voudraient pas d’un nouveau duel Macron-Le Pen… Ils sont semble-t-il en train de le choisir de nouveau.
Le contexte a cependant profondément changé. Et les mêmes causes ne produiront peut-être pas les mêmes effets. Le Président n’est plus le jeune premier qui écrasait de sa superbe le débat du deuxième tour en 2017. Il est contesté, détesté même parfois. Fier de son bilan pourtant jugé contrasté, il n’a surtout pas fait campagne et on ne sent pas cette fois sa capacité à donner de l’espoir, à renverser les montagnes, à bouleverser notre pays pour poursuivre sa transformation. Il devra faire une campagne de deuxième tour extrêmement active et sans faute s’il veut l’emporter.
Le front républicain ne fonctionnera pas de manière mécanique. L’électorat de Jean Luc Mélenchon hésitera entre l’abstention et le vote Le Pen, l’électorat de Valérie Pécresse se fractionnera au même titre que les leaders LR. Que feront les abstentionnistes du premier tour ? Marine Le Pen, qui s’est indéniablement améliorée, sera-t-elle capable de rassembler autour d’elle ? Autant de questions que d’incertitudes qu’il nous faudra dissiper dans les deux semaines suivant le 10 avril.