Réchauffement des relations américano-saoudiennes ?

10.06.2022 - Éditorial

Le président Biden devrait effectuer en juin une visite à Riyad où il rencontrera les dirigeants arabes du Golfe.

La récente visite à Washington du prince Khaled ben Salman, frère du prince héritier (MBS) et vice-ministre de la Défense, ainsi que l’entretien que viennent d’avoir les ministres des Affaires étrangères des deux pays sont des indices clairs de la préparation active de cette visite.

Les sujets de concertation ne manquent pas, en particulier la guerre en Ukraine (avec ses implications politiques, économiques et pétrolières), ainsi que les perspectives de l’accord nucléaire avec l’Iran. Mais il s’agit aussi d’un tournant dans la politique de l’administration Biden à l’égard de MBS quand on se rappelle les critiques du président à son égard et les réticences persistantes des Démocrates, d’une bonne partie de la presse américaine et de la CIA envers le prince héritier saoudien. Il y a clairement une volonté de détente dans la relation bilatérale qui s’explique par le souci de Washington de ménager ses alliés traditionnels face à la crise avec Moscou et aux ambitions chinoises.

De ce fait les observateurs spéculent sur le type de « deal » que pourraient faire Américains et Saoudiens : reconnaissance par Biden de l’inéluctabilité de la montée sur le trône saoudien de MBS, en échange du règlement de l’affaire Saad Al Jabri (par la libération de ses enfants emprisonnés en Arabie), de la libération de quelques prisonniers politiques saoudiens et d’un engagement de Riyad à accroître sa production pétrolière pour alléger la pression sur les prix du brut.

En réalité les choses sont un peu plus compliquées car :

  • l’Arabie tient à son accord pétrolier avec la Russie dans le cadre de l’accord OPEP + et elle ajustera sa production surtout aux besoins de l’économie globale, en tenant compte de la perspective d’un ralentissement de la croissance mondiale ;
  • l’incertitude demeure sur l’accord nucléaire avec Téhéran, alors que la perception d’une menace iranienne demeure forte en Arabie ;
  • les élections de mid-term aux Etats-Unis se rapprochent et les Saoudiens ont toujours eu de meilleures relations avec les Républicains qu’avec les Démocrates ;
  • la situation financière de l’Arabie s’est nettement améliorée, attirant à nouveau les hommes d’affaires du monde entier sur les opportunités offertes par les grands projets saoudiens ;
  • MBS a renforcé à l’intérieur sa légitimité à succéder le moment venu à son père le roi Salman.

Dans ces conditions MBS peut considérer que sa main est aujourd’hui meilleure par rapport au protecteur traditionnel américain.

Il s’apprête d’ailleurs à effectuer une tournée régionale en Egypte (le partenaire stratégique dans la région), en Algérie (médiation saoudienne entre Alger et Le Caire sur la Libye et entre Rabat et Alger), en Grèce et à Chypre (coopération économique) et en Turquie (visite de retour à Erdogan), montrant qu’il est sorti de son isolement après l’affaire Khashoggi.

Par ailleurs, la visite de Lavrov à Riyad souligne la volonté de l’Arabie et des pays du Golfe de diversifier leurs partenaires, renforçant ainsi leur autonomie face à Washington.

En somme, on peut dire qu’il y a une réelle volonté d’enterrer la hache de guerre entre l’administration Biden et MBS et de perpétuer le partenariat stratégique entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite ; mais cette relation bilatérale est désormais conçue de manière à mieux prendre en compte les intérêts nationaux saoudiens bien compris.

Le dernier accord intervenu au sein de l’OPEP – prévoyant une augmentation modérée de la production de brut du cartel – illustre le fait que l’Arabie fait un geste à l’égard de Washington dans la perspective de la prochaine visite du président Biden à Riyad tout en préservant sa coopération pétrolière avec la Russie.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.