Ce dimanche 2 octobre au Brésil, aura lieu le premier tour de l’élection présidentielle la plus polarisée depuis des décennies. À cette date, des élections concernent également les députés, sénateurs et gouverneurs des États fédérés ainsi que les maires.
L’actuel Président Jair Messias Bolsonaro et l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, le favori selon les sondages, proposent deux visions du monde opposées, néanmoins ils partagent les mêmes pratiques pour pouvoir gouverner. Lula a affirmé que pour résoudre les problèmes du Brésil, il fallait « mettre les pauvres dans le budget » et « taxer les riches ». Au-delà de ce slogan, sa proposition économique a pour piliers l’investissement public et une valorisation du salaire minimum (233 euros) pour restaurer le pouvoir d’achat de la population. En outre, il propose une « révision » de la réforme du travail réalisée en 2017 qui, à son avis, « a détruit les droits acquis auparavant ». Lula a promis de ne pas privatiser les entreprises qu’il considère comme stratégiques, telles que Petrobras et la Poste. Il ne s’est pas encore prononcé sur les concessions d’infrastructures, comme les ports, les aéroports et chemins de fer, prévues par le gouvernement Bolsonaro.
Pour la classe d’affaires influente du pays, la question est de savoir quel Lula prendra les rênes s’il est réélu. S’agira-t-il du pragmatique qui a largement adhéré à l’orthodoxie économique lors de sa première prise de fonction en 2003, tout en réduisant la pauvreté grâce à des programmes d’aide sociale ? Ou le leader du second mandat qui a inauguré une ère d’interventions et de dépenses publiques accrues en réponse à la crise financière mondiale ? Va-t-il répéter la politique économique de sa successeure et héritière Dilma Rousseff, qui conduira inévitablement à une crise économique comme en 2014 ?
À l’opposé du spectre politique, le programme présenté par l’actuel Président reflète son slogan : Dieu, patrie, famille et liberté. Guidé par ces quatre mots, Bolsonaro poursuivra son ambitieux programme de privatisations et concessions qui totalisera 66 milliards d’euros d’investissements jusqu’à 2025. De plus, il promet d’exempter l’impôt sur le revenu des personnes gagnant jusqu’à cinq salaires minimums. En matière de sécurité, le candidat d’extrême droite promet d’augmenter les investissements dans les organes de sécurité publique, tels que la police d’État et les forces armées. Il préconise également une flexibilité encore plus grande dans l’accès aux armes afin d’étendre « le droit fondamental à l’autodéfense et à la liberté individuelle ». Comme son mandat a généré beaucoup d’instabilité politique, remettant en cause les institutions brésiliennes et mettant en péril la réputation du pays, il reste à savoir si élu, Bolsonaro sera capable de changer son comportement favorisant ainsi l’attraction des investissements.
Au-delà des promesses électorales, le futur Président de la République du Brésil sera confronté à deux réformes clés, une concernant la législation fiscale et l’autre sur l’amendement constitutionnel limitant les dépenses publiques. En effet, le système fiscal brésilien est l’un des obstacles les plus importants au développement économique et social du pays. La nécessité d’une réforme fait l’unanimité au niveau national, mais il a été très difficile d’atteindre cet objectif en raison d’intérêts opposés. À l’égard de l’amendement constitutionnel relatif au plafonnement des dépenses, il gèle les dépenses des pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif, ne leur permettant de les augmenter qu’en fonction du taux d’inflation de l’année précédente. Il s’agit de la mesure d’austérité la plus efficace pour contenir le déficit public croissant du pays, et ainsi stimuler la croissance et les investissements. Néanmoins, comme Bolsonaro n’a pas réussi à réduire les dépenses obligatoires, les dépenses discrétionnaires ont été comprimées engendrant des coupes budgétaires dans les investissements et les programmes sociaux. Face à cette réalité, les deux candidats ont l’intention de réformer l’amendement constitutionnel relatif au plafonnement des dépenses, mais aucun n’a présenté de proposition à cet égard.
Or, pour réaliser ces réformes structurantes et passer d’autres lois d’intérêt pour le pouvoir exécutif, le futur Président a besoin de soutien législatif. Comme le paysage politique brésilien au Congrès est très fragmenté (32 partis politiques), il faut des coalitions pour gouverner. Ce système, appelé présidentialisme de coalition, favorise les petits partis, qui « monnayent » leur participation au gouvernement en bloquant les réformes. Dans ce cadre, Lula et Bolsonaro partagent les mêmes pratiques pour pouvoir gouverner. De fait, le gouvernement de Lula, lors de ces deux mandats, a mis en place le « mensalao » et le « petrolao », deux scandales de corruption totalisant plus de 8 milliards d’euros. Il s’agissait de détourner de l’argent des entreprises d’État en vue de verser de pots-de-vin à des députés, sénateurs et aux partis politiques en échange de votes en faveur de projets de loi proposés par l’exécutif. Par ailleurs, nombreux parlementaires impliqués dans ces deux scandales de corruption sont des alliés importants du gouvernement Bolsonaro. À titre d’exemple, le président du parti politique de Jair Bolsonaro, le Parti Libéral (PL), a été arrêté et condamné pour corruption passive et blanchiment d’argent en raison de la vente des votes de députés au parti politique de Lula lorsqu’il était Président.
Bolsonaro a changé de méthode, mais la pratique demeure immuable. En vue d’avoir le soutien du Congrès, il a mis en place le « Budget secret ». Dans ce cadre, le pouvoir exécutif a transféré plus de 3,5 milliards d’euros uniquement aux députés et aux sénateurs alliés, qui les ont par la suite transférés aux maires de leurs circonscriptions. Ce n’est pas illégal, mais le choix des membres du congrès favorisé par ces subventions et le manque de transparence concernant les dépenses réalisées ont été jugés inconstitutionnels par la Cour suprême. Par ailleurs, de nombreux cas de corruption sont en cours d’investigation impliquant plusieurs députés et maires favorisés par cette initiative. De fait, au-delà d’obtenir le soutien du congrès, l’enjeu consistait à aider à réélire les députés, sénateurs et maires alliés et, par conséquent, le président Bolsonaro.
Treizième économie mondiale et cinquième plus grande démocratie du monde, comptant 216 millions d’habitants, le Brésil dispose d’institutions solides capables de se contrôler et de s’équilibrer mutuellement. Néanmoins, il est évident que le présidentialisme de coalition engendre une relation incestueuse entre les pouvoirs exécutif et législatif. Par ailleurs, l’inefficacité du système judiciaire constitue un goulot d’étranglement, parfois involontaire, mais souvent délibéré, pour toute responsabilité concrète et efficace. Pour faire face à ce cercle vicieux, le Brésil a besoin d’une réforme politique, malheureusement aucun de ces deux candidats à la présidentielle n’a inclus cet enjeu majeur dans son programme.