Les médias sont-ils suffisamment ouverts au handicap ?
La journée mondiale du handicap le 9 octobre prochain est l’occasion de se poser la question de la représentation du handicap dans les médias – qu’il s’agisse du recrutement de personnes handicapées, des sujets traités et de la visibilité accordée à cette partie de la population.
Entre chemin parcouru et raisons d’espérer, de nombreux défis sont encore à relever, dont il est urgent de s’emparer ! Car il s’agit là d’un véritable enjeu de société : savez-vous que le handicap touche aujourd’hui 12 millions de personnes en France, dont 80% de handicap invisible et 9 millions d’aidants ? Du côté de l’emploi, 14% de personnes en situation de handicap sont au chômage contre 8% pour l’ensemble de la population.
Dans ce contexte, les médias ont un devoir d’évoluer sur ce sujet. Une responsabilité même car ils ont un pouvoir d’information puissant et un potentiel d’influence jamais égalé jusqu’ici. Après tout, la télévision ne devrait-elle pas être un miroir de la société ?
Entre retard, évolution des mentalités et initiatives louables, les médias seraient-ils en train de faire leur mue ?
Handicap & médias : du retard et des obstacles à lever
Le dernier rapport du CSA (2020) dresse un constat sans appel : la représentation du handicap reste marginale sur les écrans avec un taux qui stagne à 0,6%. Et si le taux d’emploi des personnes en situation de handicap s’élève en moyenne à 3,9% tous secteurs confondus, le secteur de la communication et de l’information fait figure de mauvais élève avec un taux d’emploi de 2,2% (source : DARES), loin de l’obligation légale qui place l’objectif à 6%.
A ces chiffres aussi éloquents que préoccupants, s’ajoute une représentation faussée : le handicap moteur serait sur-représenté à hauteur de 26% (pour 850 000 personnes à mobilité réduite) contre 10% pour les déficiences visuelles (1,5 million de personnes) et auditives et seulement 1% pour la trisomie. Trop souvent encore, le handicap s’apparente au fauteuil roulant ou la canne blanche alors qu’il existe de nombreuses maladies psychiques, chroniques ou évolutives invalidantes.
Finalement, la seule visibilité « historique » dans les médias audiovisuels reste le Téléthon et la revendication d’une visibilité plus juste est relativement récente.
Du côté de la représentation publicitaire dans les médias, même constat : le handicap est présent dans moins de 1% des créations publicitaires selon le baromètre Kantar 2021. Soit 939 annonceurs à avoir intégré dans leurs messages le handicap, sur un marché potentiel de 50 000.
Un autre frein revient parfois, souligné par certains journalistes en situation de handicap : la crainte d’être enfermé dans leur identité de personne handicapée qui ne traiterait que des sujets de handicap.
Plus largement au niveau du traitement de l’information, comment naviguer entre héroïsation et misérabilisme pour de justes représentations du handicap ? La diffusion des jeux paralympiques met en scène des athlètes en situation de handicap qui doivent dépasser leurs limites, véhiculant l’image de « supers héros », loin de la réalité qui concerne des millions de personnes aux situations bien différentes.
Conscients de leurs limites et de leurs responsabilités, les médias seraient-ils en train d’évoluer et d’impulser un mouvement qui contribue, de manière décisive, à un changement d’attitude face au handicap ? En dessinant un autre horizon et en remédiant à de nombreuses ignorances, un nouveau paysage médiatique semble se profiler…
Une prise de conscience et des raisons d’espérer…
Face à ce fossé qui existe entre handicap et bonne compréhension du handicap, les grandes entreprises de médias et de la communication ont fait de véritables avancées. Dès 2007 et faisant figure de pionnier, TF1 créait une Mission Handicap et emploie aujourd’hui 4,59% de personnes en situation de handicap. Plus récemment, en 2021, Radio France a lancé son programme Egalité 360 destiné à atteindre 4% d’emploi direct.
En parallèle, les grandes chaînes et médias phares multiplient la diffusion de programmes de sensibilisation parmi lesquels les épreuves handisport des JO qui participent à la démocratisation du sujet ; la série Vestiaires diffusée à une heure de grande écoute sur France 2, partageant avec humour et dérision la vision de deux nageurs handicapés qui se retrouvent chaque semaine pour leur entraînement ; le lancement d’une nouvelle série consacrée aux maladies mentales et psychiques « Mental » par France Télévisions ; la diffusion récente sur TF1 à 21h du film Handigang mettant en scène des lycéens dénonçant le manque d’accessibilité… et tout dernier né, le podcast Rebond du Monde initié en juin 2022 qui interroge des personnalités sur leur rapport au handicap et la façon dont elles vivent avec.
Le sujet du handicap dans les médias suscite aussi des questions du point de vue de l’accès à l’information. Tendance encourageante : 6 chaînes ont augmenté leurs offres de programmes sous-titrés tandis qu’en avril 2018, est créé Média’Pi !, un site d’info générale en langue des signes pour sourds et malentendants. Notons aussi que le débat présidentiel de l’entre-deux tours a été complètement sous-titré en langue des signes par 4 personnes, 2 par candidat. Une première.
La publicité n’est pas en reste : le baromètre Kantar observe un tournant en 2021 avec davantage de créations 100% inclusives au sein desquelles les personnes en situation de handicap figurent au titre de citoyens ou de consommateurs lambda. Autre tendance : les marques – dont les consommateurs attendent certes qu’elles endossent désormais un rôle citoyen – n’hésitent plus à afficher dans les médias des égéries aux parcours atypiques. Même la mode s’est emparée du sujet ! Ellie Goldstein, jeune femme trisomique, est devenue le mannequin de Gucci en 2019 et se retrouve désormais à la Une de magazines de mode. La marque américaine Tommy Hilfiger s’est également exposée dans les médias avec une nouvelle ligne de vêtements inclusifs, « Adaptive », dédiée aux personnes en situation de handicap.
Enfin, de nouveaux relais ont émergé sur les réseaux sociaux. Les influenceurs se font le porte-voix de consommateurs handicapés connectés et contribuent à normaliser l’image du handicap associé à des marques de beauté ou de prêt-à-porter. Sur Instagram, certaines jeunes femmes s’affichent avec leur fauteuil roulant ou leur prothèse. YouTube voit désormais fleurir de nouveaux tutos beauté délivrés par des influenceuses comme Kaitlyn Dubrow, amputée des quatre membres. En France, l’athlète quadri-amputée Théo Curin, en plus de la natation, prouve que tout est possible grâce à ses interventions très médiatisées comme acteur, conférencier et top model.
Gageons que ces transformations contribuent à mettre un terme à la marginalisation et aux idées reçues. En rendant visibles les personnes en situation de handicap pour la société, en valorisant leurs compétences plutôt que les incapacités et enfin en améliorant le degré de connaissance générale du grand public sur le sujet du handicap, les médias permettront la construction d’une société plus inclusive, plus juste et plus équitable.
C’est tout le sens d’ailleurs de la campagne nationale et multimédia de sensibilisation déployée par le gouvernement, sous l’impulsion de l’ex-secrétaire d’Etat au handicap Sophie Cluzel début 2022, qui avait pour slogan : « Voyons les personnes avant le handicap ! ».
Là aussi, une première depuis 16 ans.