A quoi jouent les pays producteurs de pétrole ?

11.11.2022 - Regard d'expert

Les pays de l’OPEP + ont décidé le 5 octobre, lors d’une réunion ministérielle à Vienne, de réduire fortement leur production de pétrole. Ils ont ainsi convenu de baisser le nombre de barils existants chaque jour de 2 millions, soit plus de 2 % du marché mondial. Le signal envoyé aux marchés a aussitôt produit son effet : dans la journée, le baril de brent s’est hissé de 2 dollars, à 93,80 dollars.

C’est la réduction volontaire la plus importante décidée par l’OPEP + depuis le début de la pandémie. Il convient en effet de rappeler que, à la suite du confinement du printemps 2020, le prix du baril avait connu un effondrement inédit, provoqué par la mise à l’arrêt d’une bonne partie de l’économie mondiale. Pour redresser la barre, l’Arabie Saoudite et ses alliés de l’OPEP + avaient alors limité volontairement leur production, ce qui avait permis une remontée des cours parallèlement à la reprise de l’économie mondiale.

En février de cette année, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué une flambée des cours inégalée en dix ans. Mais depuis un pic franchi au mois d’août – à 104 dollars – le baril de pétrole brut avait perdu environ 20 %. En cause essentiellement le ralentissement de l’économie chinoise et les menaces de récession en Europe, ainsi que des doutes sur l’économie américaine. Le cours du pétrole était ainsi redescendu au niveau d’avant-guerre. Cette situation a conduit les 23 pays de l’OPEP + à réagir en prenant les mesures de réduction annoncées le 5 octobre.

Le président Biden a réagi à l’annonce du cartel de Vienne en se déclarant « déçu de la décision à courte vue de l’OPEP + » ; et la Maison Blanche a indiqué qu’elle consulterait le Congrès sur les « outils et mécanismes » qui permettraient de « réduire le contrôle » du cartel sur les prix du brut.

Cette réaction des Etats-Unis est peu ou prou partagée par la plupart des pays consommateurs de pétrole, qui craignent un retour du baril autour de 100 dollars dans les prochaines semaines ; et cela à un moment où ils se battent contre l’inflation et où le cours du dollar – dans lequel sont libellées les factures de brut – a lui-même atteint un pic.

A Washington, les observateurs considèrent en outre qu’il s’agit d’un camouflet pour le président Biden, qui était venu à Riyad demander au contraire un accroissement de la production pétrolière afin de soutenir l’économie mondiale.

La question est donc de savoir si la décision de l’OPEP + est purement économique ou si elle a également une signification politique, reflétant la défiance persistante des autorités saoudiennes à l’égard de l’administration Biden. Certains vont même plus loin en parlant d’un geste de Riyad envers Poutine dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Cela paraît cependant peu probable, étant donné les liens stratégiques entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite (cf les contrats d’armement signés après la visite de Biden à Riyad). Le royaume s’en tient à ce stade à une forme de « neutralité » prudente dans l’affaire ukrainienne – jouant même les médiateurs dans un échange de prisonniers – et réaffirme que la décision de l’OPEP + est strictement liée aux préoccupations des producteurs de pétrole face aux incertitudes de l’économie mondiale.

Toutefois, nombreux sont ceux à Washington qui sont persuadés que ce ne sont pas seulement les fondamentaux du marché pétrolier qui sont en cause, car la réduction décidée intervient au moment-même où les Etats-Unis et l’Europe veulent établir un prix plafond pour le pétrole russe.

En réalité, il semble bien que les perspectives médiocres du marché pétrolier soient bien la raison principale de la décision de l’OPEP + ; mais cela arrange Moscou de la présenter en termes géopolitiques pour montrer que la Russie n’est pas isolée ; et cela permet aussi à Riyad de montrer son autonomie par rapport à Washington, en dépit des pressions fortes de l’administration Biden. Il y a donc une part de théâtre d’ombres dans cette affaire, d’autant plus que plusieurs membres de l’OPEP + produisent en-deçà de leurs quotas et qu’en fait la réduction annoncée est plutôt d’environ 1 million de barils / jour. Cela relativise donc les mesures prises à Vienne, bien que leur impact politico-médiatique soit grand.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.