Le 11 novembre 2022, FTX, le deuxième plus grand échangeur de cryptomonnaies au monde, annonce officiellement sa faillite selon le chapitre 11 de la loi sur les faillites des États-Unis. Désormais, l’entreprise dispose d’un délai de 120 jours à compter du 11 novembre pour se restructurer et rembourser une somme avoisinant les 10 milliards de dollars.
La chute d’un colosse aux pieds d’argile qui aura commencé en mai 2022, lorsque sa branche d’investissement Alameda Research subit d’énormes pertes à la suite de la disparition d’un autre géant de l’industrie : Terra (Luna). A ce moment, FTX ne laisse rien transparaître et va mettre en place une stratégie de dissimulation, aussi bien dans sa communication que dans ses actions. Ainsi, l’échangeur va profiter des opportunités créées par la disparition de Terra pour acquérir des acteurs en difficulté. Il va notamment racheter BlockFi pour 250 millions de dollars ainsi que Voyager Digital pour 1,4 milliard de dollars. Il prend également des participations dans Skybridge Capital, Yuga Labs, ou encore Paxos. Au total, ce sont plus de 400 entreprises web3 dans lesquelles a investi FTX Group. De fait, l’échangeur se présente comme un navire solide au milieu de la tempête qui secoue le marché des cryptomonnaies, et obtient de nouvelles licences au Japon, à Dubaï ainsi qu’à Chypre, lui permettant d’exercer sur l’entièreté du globe. Il espérait même lever un milliard de dollars supplémentaire en cette fin d’année, après avoir réalisé avec succès sa dernière levée de fonds pour 400 millions de dollars en janvier 2022. Avant le désastre, l’entreprise était valorisée à plus de 32 milliards de dollars provenant de centaines d’investisseurs, parmi lesquels des grands noms comme SoftBank, Sequoia Capital, Insight Partner, Ledger, Coinbase Ventures, ou Altimeter Capital ; preuves de l’ampleur de cette faillite. Enfin d’un point de vue politique, Samuel Bankman-Fried ou SBF (le fondateur de FTX) a versé plus de 40 millions de dollars au Parti Démocrate entre 2021-2022, faisant de lui le deuxième plus grand donateur du parti derrière Soros, et s’achetant par la même occasion la bienveillance du Président Biden.
Cependant, pour financer ses opérations d’acquisitions et obtenir des prêts, FTX utilise son propre jeton, le FTT, en collatéral. C’est-à-dire, qu’il met en garantie sa propre cryptomonnaie dont il est l’émetteur. Le plus incroyable est que FTX continue d’obtenir des prêts. Mais, le 2 novembre 2022, le premier domino tombe. Coindesk publie un article prouvant que 40% des actifs qui composent les 14.6 milliards de dollars de trésorerie d’Alameda Research sont du FTT. Le problème est que les réserves en FTT de FTX et d’Alameda Research représentent 75% des jetons existant ! FTX est piégé. Pour rembourser ses dettes, il doit vendre ses FTT, mais s’il vend trop de FTT, alors son cours chute et c’est l’entièreté de sa trésorerie qui est impactée.
Le deuxième domino tombe à la suite d’un tweet de Changpeng Zhao, le PDG de Binance (principal concurrent de FTX) qui annonce la vente de ses 23 millions de FTT, soit 7% de l’offre disponible en circulation. Ce tweet va faire chuter le prix du jeton de 20% et créer un mouvement de panique. Pour comprendre comment Binance s’est retrouvé avec autant de FTT, il faut revenir en 2019 lors du lancement de FTX. Binance est alors le principal financeur de la plateforme et investit près de 900 millions de dollars. En juillet 2021, afin de gagner en indépendance, Samuel Bankman-Fried décide de racheter les parts de Binance contre l’équivalent de 2,1 milliards de dollars en FTT et en BUSD. Sans le savoir, SBF venait de laisser rentrer un cheval de Troie dans sa cité. Un coup de génie de la part de Binance, qui lui a permis de garder à portée de tir son rival, et qui fait aujourd’hui de l’échangeur chinois le leader incontesté des échangeurs.
Les dés sont jetés, les investisseurs comprennent que la trésorerie de FTX repose sur du vent et que le château de cartes est en train de s’écrouler. Ils souhaitent retirer leurs fonds de la plateforme, mais se retrouvent dans l’incapacité de les récupérer puisqu’une partie aurait été utilisée pour renflouer les caisses d’Alameda Research. C’est la panique, le FTT s’écroule, et le marché perd plus de 400 milliards de dollars de capitalisation en une semaine. Binance infligera le coup de grâce en affirmant dans un premier temps vouloir sauver son concurrent, obligeant un audit financier qui révèlera au grand jour la supercherie de FTX. Une véritable « Pyramide de Ponzi » qui fonctionnait ainsi :
– Alameda Research investit dans un projet.
– Alameda Research oblige ce projet à déposer son argent investi sur FTX.
– FTX renvoie cet argent à Alameda Research.
– Alameda Research investit dans un nouveau projet…
FTX est une incroyable « Success-Story » fulgurante qui aura fait de son fondateur l’un des hommes les plus riches du monde en seulement 3 ans, suivie d’une faillite brutale. Brutale pas seulement pour SBF, mais également pour de nombreux acteurs, avec des conséquences économiques impressionnantes :
– Environ un million de créanciers pour une dette de 10 milliards de dollars.
– La faillite de 130 entreprises formant FTX Group et représentant des milliers d’emplois à travers le monde.
– Près de 400 entreprises impactées, dans lesquelles FTX a investi (BlockFi et Liquid viennent d’annoncer l’arrêt de leurs activités).
– Le monde du sport est également touché avec plus de 400 millions de dollars de contrats en sponsoring (Mercedes en F1, Miami Heat, Major League Baseball), tout comme le monde de l’événementiel et le festival Tomorrowland.
– Une liste impressionnante de projets (60) qui ont fait l’objet de délits d’initiés comme LooksRare, BitDAO, The Sandbox ou encore BaoToken.
– La fin de partenariats commerciaux engendrant des pertes pour Visa, GameStop et Goldman Sachs.
Les conséquences politiques sont tout aussi nombreuses. D’abord, des projets étatiques sont touchés comme le « Busan Digital Asset Exchange » en Corée du Sud, ou les différents projets de bancarisation en Afrique francophone. De plus, les gouvernements du monde entier vont se servir du cas FTX pour accélérer et durcir leurs réglementations. D’ailleurs, l’Inde qui présidera le prochain G20, a mis la régulation des cryptomonnaies au cœur de sa présidence. Enfin, l’impact sur l’adoption est terrible alors que seulement 2% des habitants de la planète possèdent des cryptomonnaies. Le chemin vers la démocratisation s’annonce long et les acteurs du marché devront batailler pour reconquérir la confiance des particuliers.
Cependant, l’affaire FTX ne signe pas un coup d’arrêt pour les cryptomonnaies. Premièrement, parce que les institutionnels n’ont jamais été aussi nombreux à pénétrer sur le marché du web3 : Blackrock, Citigroup, Fidelity, Morgan Stanley, Google, Microsoft, American Express, Nike, McDonald’s. Aujourd’hui, presque toutes les grandes entreprises ont un pied dans le monde des cryptos, ce qui n’était pas le cas en 2020. En 2 ans, les chiffres de l’adoption ont explosé et plus de 120 millions de personnes possèdent un portefeuille numérique dans le monde contre 3 millions en 2015. Les experts attendent un milliard d’utilisateurs en 2030 après les deux prochains halving. De plus, cette histoire permet de remettre l’église au centre du village et de rappeler que le Bitcoin est né d’une volonté de créer un système monétaire alternatif en pair-à-pair, sans tiers de confiance, basé sur la technologie révolutionnaire de la blockchain qui est transparente et infalsifiable. Les principales victimes de la chute de FTX sont les individus qui ont confié leurs fonds à un acteur centralisé, rompant le pacte de Satoshi Nakamoto, le fondateur de Bitcoin. Les investisseurs sont en train de tirer les leçons de cette histoire puisque les échangeurs décentralisés fonctionnant sur la blockchain et gouvernés par un système de DAO (les détenteurs d’un jeton peuvent voter et s’exprimer sur les décisions de l’entreprise) connaissent une croissance de leur activité, à l’instar d’Uniswap qui comptabilise 52 milliards de dollars de volume d’échange sur les deux premières semaines de novembre, contre 29 milliards de dollars sur tout le mois d’octobre. Satoshi Nakamoto peut avoir le sourire, pendant que des milliers d’investisseurs pleurent leurs pertes, faute d’avoir fait confiance à une grenouille qui se voyait plus grosse que le bœuf.