L’augmentation des prix de l’énergie, sur fond de sortie de la pandémie de la Covid 19 et du bouleversement des plaques tectoniques depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, permet aux pays du Golfe exportateurs de pétrole et de gaz d’enregistrer des profits records.
L’Arabie Saoudite, dont le géant pétrolier ARAMCO a dévoilé un bénéfice exceptionnel de 48,4 Mds de dollars au deuxième trimestre, est devenue l’une des économies à la croissance la plus rapide au monde cette année.
Le Qatar, poids lourd du gaz naturel liquéfié, a multiplié par douze son excédent budgétaire sur le premier semestre 2022 ; et Oman prévoit d’être dans le vert pour la première fois depuis une décennie.
La manne pétrolière permet également de renforcer la puissance de feu des fonds souverains, principaux véhicules financiers des Etats du Golfe pour faire fructifier leurs excédents budgétaires. Au cours du seul deuxième trimestre, le fonds souverain saoudien (PIF) a ainsi acquis pour plus de 7,8 Mds de dollars d’actions américaines. On s’attend néanmoins à l’avenir à une stratégie d’investissement plus pragmatique – et moins « tape-à-l’œil » – que par le passé.
S’il est difficile d’estimer la part des recettes pétrolières allouées à ces entités un peu opaques, il est probable que le flux se poursuivra tant que le baril se maintiendra à un niveau élevé. Cela est d’ailleurs peut-être temporaire du fait du ralentissement en cours de l’économie mondiale : l’Arabie Saoudite annonce en effet un excédent budgétaire prévisionnel pour 2023 dix fois inférieur à celui de 2022.
Les pays du Golfe ne peuvent aussi se soustraire à la redistribution d’une part du gâteau pétrolier à des citoyens qui assistent à contrecœur à une érosion progressive de ce pacte social implicite depuis 2014. Pour autant, l’ère de la redistribution sans discernement est en partie révolue, ouvrant les portes à un filet de sécurité sociale plus ciblé. Face à une inflation qui s’enracine, l’Arabie Saoudite a ainsi ordonné en juillet la distribution de 20 Mds de riyals saoudiens (5,4 Mds d’euros) aux bénéficiaires de l’assurance sociale.
Le lancement des « Visions » dans tous les pays du Golfe a en réalité déclenché un changement de mentalité chez les responsables politiques, reflétant une dynamique interne plus favorable à des réformes durables sur fond de prise de contrôle par des jeunes décideurs entrés en fonction durant la période d’explosion des dettes publiques. Le mot d’ordre est désormais « moins d’assistanat et plus d’argent dans les institutions ».
La manne pétrolière doit désormais être investie dans la transition économique et environnementale. Le FMI a salué en août 2022 la discipline budgétaire de l’Arabie et son respect des plafonds budgétaires de 2022, mais a pris soin de noter que les pressions pour dépenser la manne pétrolière constituaient l’un des principaux risques de dégradation. Il recommande de reconsidérer le plafonnement des prix de l’essence et de maintenir le taux de TVA à 15%, une mesure qualifiée en 2021 par le prince héritier de temporaire.
Il faut donc s’attendre à plus d’impôts dans toute la région : l’introduction de la TVA au Qatar et au Koweït dans les années à venir, ainsi qu’un impôt universel sur les sociétés à Bahreïn. Les Emirats Arabes Unis, eux, ont déjà sauté le pas et annoncent un impôt sur les sociétés pour mi-2023 au taux de 9% sur les bénéfices supérieurs à 576 000 dirhams (103 500 euros).
L’évolution du paysage fiscal reflète ce que le Secrétaire Général du Conseil de Coopération du Golfe perçoit comme un changement de paradigme dans le rôle endossé par les gouvernements, qui abandonnent la « création de l’économie » pour la « stimulation de la croissance ». En Arabie Saoudite, le PIF s’impose comme l’investisseur de base pour faciliter le développement du secteur privé.
Toutefois, la dépendance des citoyens à l’égard des emplois du secteur public demeure élevée : les salaires du secteur public représentent en effet 30 à 50% des dépenses publiques suivant les pays.
De même, la diversification économique est un thème récurrent, mais elle n’a pas encore beaucoup progressé et la région peine à se faire une place sur la scène mondiale dans des secteurs d’activités non-énergétiques – à l’exception de Dubaï, qui a développé une industrie du tourisme et de la logistique internationale.
En Arabie Saoudite, la flopée de projets annoncés par le prince héritier est perçue par certains comme autant d’éléphants blancs déconnectés des réalités économiques. La mégalopole futuriste NEOM, souvent critiquée pour être un « fouillis de science », est notamment jugée par de nombreux investisseurs potentiels comme un pari risqué.
En fait, les orientations stratégiques dans les pays du Golfe demeurent déterminées au plus haut niveau de l’État, sans véritable consultation des populations locales ; et les décideurs politiques ne voient pas l’intérêt d’adopter une approche différente.
Enfin, selon certains experts fiscaux, la prochaine étape pourrait être de démanteler les régimes fiscaux favorables aux entreprises locales au Qatar, au Koweït et en Arabie Saoudite. Pour eux, ces régimes fiscaux discriminatoires – qui offrent un traitement favorable aux ressortissants du CCG – finiront par être supprimés.
On n’en est pas là, mais il est clair que la politique de « normalisation » de la gestion des pays du Golfe est en marche, avec pour objectif d’optimiser leur insertion dans l’économie mondiale.