Quels sont les dossiers à suivre en priorité au Moyen Orient en 2023 ?

27.01.2023 - Éditorial

Trois grands dossiers seront à suivre de près cette année au Moyen Orient, car ils pourraient redessiner l’équilibre des forces dans la région :

1 / Iran : La révolte qui a débuté en septembre dernier se poursuit aujourd’hui, malgré la répression violente du régime des mollahs. On recense plus de 450 morts, sans parler des arrestations, de la torture et des condamnations à mort. Il y a désormais une rupture profonde entre la jeunesse et le pouvoir théocratique, qui a atteint un point de non-retour. Les manifestants sont déterminés, mais les autorités n’entendent pas compromettre et feront tout pour étouffer la révolte. En effet le gouvernement est aux mains des éléments les plus radicaux et les Gardiens de la Révolution auraient trop à perdre – y compris sur le plan économique – s’ils acceptaient une ouverture du régime.  Jusqu’où peut aller le mouvement ? Il est difficile de le prévoir, mais le système est sérieusement ébranlé.

Quelles pourraient être les répercussions de cette crise sur les autres pays de la région ? Il est clair qu’une aggravation de la situation aurait un impact sur l’influence de Téhéran en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen, car la fragilisation du régime islamique diminuerait sa capacité à financer et armer les milices à sa solde dans ces pays.

Par ailleurs, l’emprise régionale de Téhéran est également liée à l’issue de la négociation de l’accord nucléaire à Vienne. Celui-ci est mal parti et il est probable que les grandes puissances et les pays de la région réfléchissent aux alternatives possibles : résignation à vivre avec un État du seuil nucléaire supplémentaire, tout en gardant l’option militaire ouverte (ce qui serait un facteur d’instabilité) ? Négociation d’un nouvel accord nucléaire, mais sur quelle base ? Élaboration d’un accord régional de sécurité, difficilement réalisable dans l’atmosphère actuelle ? A ce stade, il serait hasardeux de faire des prévisions, mais il est légitime de réfléchir d’ores et déjà aux différentes options.

2 / Turquie : L’élection présidentielle prévue le 18 juin pourrait également changer le visage du pays, en raison de la crise économique et du fait que le président Erdogan n’est pas assuré de remporter ce scrutin décisif. L’inflation a atteint, en effet, 85% en 2022 et une partie de l’électorat AKP a désormais des réserves à l’égard du président. Cela explique que dans les sondages, l’opposition ait le vent en poupe, avec comme candidats crédibles les maires d’Istanbul et d’Ankara. Cela mettrait fin à 20 ans de pouvoir d’Erdogan et aurait certainement un impact sur la politique régionale de la Turquie, caractérisée par une agressivité certaine et un équilibrisme qui inquiète ses alliés occidentaux. Mais la partie n’est pas encore jouée…

3 / Israël : L’année 2023 pourrait être marquée par de grands changements. Le pays est dirigé depuis le 29 décembre par un gouvernement d’ultra-orthodoxes et de membres de partis d’extrême droite. Formé par Benjamin Netanyahou, il comporte notamment une personnalité comme Ben Kvir, qui est considéré comme suprématiste, raciste, homophobe et qui a eu des démêlés avec la Justice. On peut donc s’attendre à un tour de vis à l’égard des Palestiniens de Cisjordanie et à la réduction des pouvoirs de la Cour Suprême (seul véritable contrepoids à l’exécutif), ce qui pourrait détériorer le système démocratique d’Israël, déjà fragile.

Sur le plan extérieur, la ligne ferme à l’égard de l’Iran devrait être maintenue. La question principale demeure cependant la longévité de ce gouvernement, étant donné les réactions d’opposition forte qu’il rencontre d’ores et déjà.

En somme, l’année 2023 s’annonce lourde d’incertitudes pour un Moyen Orient en crise depuis de nombreuses années. Or l’instabilité dans les trois pays évoqués (Iran, Turquie, Israël) ne peut qu’ajouter aux risques de confrontation dans la région, étant donné le rôle majeur de ces Etats au Moyen Orient.

Dans ce contexte inquiétant, on ne peut que relever l’exception que constituent les monarchies du Golfe, qui apparaissent comme un îlot de stabilité et de développement au milieu d’une mer agitée.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.