L’Arabie Saoudite précise sa politique d’acteur international autonome

17.02.2023 - Éditorial

À l’occasion de la dernière session du Forum de Davos, le ministre saoudien des Finances, Mohammed Al Jadaan, a adressé deux messages importants, qui reflètent la volonté de plus en plus manifeste du royaume d’agir sur la scène internationale comme un grand pays menant une politique autonome :

1. Le ministre a ainsi confirmé officiellement ce qui avait été évoqué lors du dernier Forum de l’Investissement Futur, en octobre à Riyad, à savoir que sa politique d’assistance inconditionnelle à certains États n’aurait plus cours et qu’elle serait désormais liée à des réformes dans les pays concernés.

Il s’agit d’un tournant important car, depuis de nombreuses années, Riyad était le principal soutien financier de l’Égypte et de Bahreïn en particulier. Très récemment, l’Arabie a encore apporté une aide significative au Pakistan, pays gravement touché par l’accroissement des prix du pétrole et de la nourriture.

Le ministre des Finances a précisé que le royaume travaillait avec des institutions multilatérales pour s’assurer de la mise en œuvre des réformes nécessaires dans les pays bénéficiant d’une assistance financière saoudienne.

Le message est clair : “Finis les dons gratuits. Aide-toi, le ciel t’aidera !”. Il a pour objectif clair d’inciter les pays aidés par Riyad à faire les réformes indispensables pour mieux gérer leurs économies. Un tel message concerne en particulier, dans le monde arabe, le Liban, la Jordanie, l’Égypte, la Tunisie, le Soudan, Bahreïn et Oman.

2. Mohammed Al Jadaan a également déclaré à Davos que son pays serait ouvert à des discussions sur le commerce en monnaies autres que le dollar américain. Dans une interview à Bloomberg TV, il a précisé : “Je ne pense pas que nous excluions toute discussion qui faciliterait le commerce international”.

Ce message faisait clairement écho à une déclaration du ministre d’État émirien pour le commerce extérieur, Thani Al Zayoudi, selon laquelle les Émirats arabes unis étaient à un stade préliminaire de discussions avec l’Inde pour débuter un commerce en roupies sur les biens non-pétroliers.

 

Il convient toutefois de rappeler que l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ont leur monnaie nationale liée au dollar et que ces deux pays n’ont apparemment pas l’intention de changer de politique. Toutefois, il est intéressant de noter que les esprits évoluent dans la région et que l’idée — promue notamment par la Chine — de commercer dans des monnaies autres que le dollar semble faire son chemin, s’agissant en particulier du commerce avec les pays asiatiques.

L’Arabie Saoudite souhaite, par ces messages, marquer qu’elle attend désormais des États bénéficiaires de son aide financière les mêmes efforts qu’elle fait elle-même en matière de réformes structurelles pour optimiser la gestion de son économie.

Elle signifie aussi à Washington qu’il n’y a plus de tabou à envisager un commerce international dans d’autres monnaies que le dollar, en fonction des intérêts nationaux bien compris de chacun.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.