Comme dans une supérette bio, les acronymes et les labels fleurissent au sein des places financières : fonds estampillés ISR (Investissement Socialement Responsable), fonds ESG (Environnementaux, Sociaux et Gouvernance), ou encore fonds PRI (Principles for Responsible Investment). Ces fonds promettent à la fois une performance boursière et une gestion éthique au service de l’humain et de la planète. Comme pour le bio, difficile de s’y retrouver et de savoir si la promesse du produit ou du service sera véritablement tenue.
Les critères extra-financiers s’imposent désormais aux investisseurs comme aux émetteurs. Le métier de chef d’entreprise ou de gérant de portefeuilles évolue et tend à s’inscrire de plus en plus dans une démarche vertueuse et durable. L’intention est louable mais le chemin est semé d’embûches. Qui veut faire l’ange fait parfois la bête ? Quelle approche retenir dans l’intérêt de ses clients, en concordance avec ses propres valeurs ?
Pour accompagner les chefs d’entreprises et les investisseurs dans cette démarche, les agences de notation « extra-financières », comme les agences de notation financières, évaluent les entreprises selon une batterie de critères, mais avec une différence essentielle : l’absence de corrélation évidente entre le niveau de cette note et le coût de la ressource financière. Agences de notation, elles n’existent et ne sont reconnues trop souvent que comme agences d’exclusion, de tel secteur ou de telle entreprise, sans que la mise à l’index n’ait d’incidence sur la valorisation par le marché.
L’analyste financier peut lui aussi se tromper, être abusé par une fraude comptable, ou biaiser sa notation. Les exemples de tels errements ne manquent pas, même si depuis les scandales des subprimes et de Madoff, les mailles du filet de la régulation se sont resserrées. Mais ce qui ressort, pour la notation financière, du domaine de l’erreur susceptible d’être corrigée une fois la vérité établie, ressort parfois, pour la notation extra-financière, du domaine de l’illusion qui ne se dissipe que lorsque la motivation accepte de se confronter à la réalité. Pour l’instant la réalité est que, tandis que les indices « éthiques » sont à la peine, les valeurs « Énergie » (Total, Rubis, Engie), bien que mises à l’index, flambent.
Deux questions se posent à la notation extra-financière pour passer de l’adolescence, âge de l’inconstance et des velléités, mais aussi âge des promesses et des convictions, à l’âge adulte. Comment faire émerger une méthodologie et des critères pertinents, stables et reconnus comme des standards ? Comment transformer une promesse marketing souvent obscure et parfois fallacieuse en une notation opérante sur le marché et la valorisation des actifs ?
Un long cheminement et de nombreux scandales ont été nécessaires pour que soient adoptées les normes comptables et reconnue l’autorité de l’International Accounting Standards Board (IASB), pour les modifier et les adapter. Un long cheminement et quelques scandales seront probablement nécessaires pour que la notation extra-financière parvienne au même résultat.
Créé en novembre 2021, l’ISSB (International Sustainability Standards Board) ambitionne d’élaborer et d’imposer les nouvelles normes de durabilité aux organisations du monde entier. Présidé par Emmanuel Faber, l’ISSB est le pendant, pour le reporting durable, de l’IASB . Pour lui donner une légitimité internationale, trois organismes indépendants qui existaient déjà et qui élaboraient leurs propres règles de reporting ont fusionné : le CDSB (Climate Disclosure Standards Board), le SASB (Sustainability Accounting Standards Board) et l’Integrated Reporting Framework.
Parallèlement, l’Efrag (European Financial Reporting Advisory Group), qui conseille depuis 21 ans la Commission européenne sur l’adoption des normes comptables, propose à consultation publique treize normes en matière de durabilité. L’Efrag et l’ISSB réussiront-ils à collaborer ? Entre les deux est apparu un point de divergence majeur d’ordre quasi philosophique. Les Européens basent le cadre du reporting extra-financier sur la double matérialité, qui analyse à la fois l’impact des risques ESG (Environnementaux Sociaux et Gouvernance) sur l’entreprise et l’impact de l’entreprise sur la société. L’ISSB, lui, ne veut couvrir que le premier volet.
L’attente de la convergence risque d’être longue. Entre temps, émetteurs et investisseurs devront apprendre à vivre avec une notation extra-financière imparfaite, ne méritant ni excès d’honneurs, ni excès d’indignités.