Les « deux sessions » : un événement politique chinois d’intérêt global ?
Les 4 et 5 mars 2023, environ 5 000 représentants chinois se sont réunis dans le Palais de l’Assemblée du Peuple à Pékin, pour assister à l’ouverture des réunions annuelles des “deux sessions” (lianghui两会), jalons majeurs du calendrier politique chinois et théâtres d’annonces clés en matière de nominations, de grandes réformes et d’orientations stratégiques pour l’année à venir.
Les lianghui, qui se déroulent traditionnellement au mois de mars, consistent en deux réunions distinctes mais simultanées de l’Assemblée populaire nationale (APN), l’organe législatif suprême du pays, et de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC), l’organe consultatif politique suprême. Ces réunions, présentées par le gouvernement comme un moment de démocratie dans la vie politique chinoise, sont surtout destinées à entériner des décisions prises bien en amont, au sein du Politburo. Les lianghui constituent néanmoins une fenêtre sur l’orientation politique du gouvernement, en tant qu’événement au cours duquel les dirigeants chinois communiquent les orientations stratégiques pour l’année à venir.
L’édition 2023 des lianghui est particulièrement importante puisqu’elle est la première édition à ne pas être affectée par la pandémie de COVID-19, après la levée des restrictions les plus contraignantes de la politique “zéro-COVID” en décembre 2022. Les lianghui 2020 avaient été retardées de plusieurs mois, tandis que les sessions 2021 et 2022 n’avaient duré qu’une semaine au lieu des deux habituelles. Par ailleurs, l’édition 2023 des lianghui marque le commencement officiel du troisième mandat de cinq ans de Xi Jinping, inaugurant de fait un nouveau cycle politique. A l’image de l’édition 2018 des lianghui, qui avait marqué le début du dernier cycle politique à coups de bouleversements constitutionnels d’envergure (dont l’abolition de la limite de deux mandats présidentiels), l’édition 2023 devrait être le théâtre de modifications constitutionnelles d’une ampleur similaire, notamment autour d’une seconde vague d’approfondissement de la réforme du Parti et des institutions de l’Etat. Premier signe d’une réorganisation d’ampleur, la Chine a publié le 7 mars 2023 le Plan de réforme institutionnel du Conseil des Affaires de l’Etat (l’organe administratif suprême de l’Etat), qui modifiera les fonctions d’une douzaine d’agences et en créera deux nouvelles. Parmi les premières annonces, l’introduction d’un nouvel organisme national de régulation financière et la création d’un nouvel organe du Parti : la Commission centrale des sciences et des technologies, dont le Ministère des sciences et des technologies sera l’organisme administratif. Ce Plan n’est cependant qu’une partie d’une ambition plus large visant à restructurer les institutions du PCC et de l’Etat. La prochaine étape de cette réforme devrait donc accroître davantage l’influence du PCC sur les organes gouvernementaux, soit en créant des entités du Parti supplémentaires pour superviser les agences du Conseil des Affaires de l’Etat, soit en transformant directement certaines agences du Conseil des Affaires de l’Etat en entités du Parti (ce qui avait déjà été le cas en 2018). Enfin, les modifications constitutionnelles, nominations, réformes et orientations stratégiques qui seront annoncées lors de l’édition 2023 des lianghui s’inscrivent dans un contexte de pressions économiques, sociales et démographiques internes fortes, qui fixeront indéniablement le ton des orientations économiques pour l’année à venir.
La Chine sort de plusieurs mois de blocages et ralentissements, consécutifs à la mise en place de mesures fortes attenant à la politique “zéro-COVID” du gouvernement. Le 17 janvier 2023, le Bureau national des statistiques (BNS) annonçait un taux de croissance du PIB chinois de 3 % pour l’année 2022, le plus bas depuis 1976. Les estimations de l’OCDE pour la Chine font désormais état d’une croissance économique de 4,6 % pour 2023 et 4,1 % pour 2024, inférieures aux 5 % de croissance pour 2023 annoncés officiellement par la Chine il y a quelques jours. La baisse de la consommation des ménages, couplée à un endettement abyssal des provinces, sur fonds d’effondrement de la natalité et de vieillissement de la population, a des conséquences directes et de plus en plus visibles sur la société chinoise. Le chômage atteint des niveaux jamais enregistrés auparavant : en juin 2022, un nombre record de 10,7 millions de nouveaux étudiants qualifiés rejoignaient le marché du travail chinois, alors que le chômage des jeunes atteignait 19,9 % selon le BNS, le taux le plus élevé depuis janvier 2018, date à laquelle la Chine a commencé à publier cet indice (le taux n’était alors que de 9,6 %). Les jeunes diplômés ne sont pas les seuls à souffrir des conséquences de la crise sanitaire, les retraités sont aussi des victimes collatérales de la politique “zéro-COVID”. Les données publiées par les gouvernements provinciaux montrent que 11 des 31 juridictions provinciales chinoises affichent des budgets de pension déficitaires. Les administrations provinciales, garantes du système de retraites, ont vu leurs dépenses s’intensifier entre juin et octobre 2022 face aux recettes perçues – majoritairement grâce à la vente de terrains. L’explosion de la dette publique des provinces est directement liée aux coûts de la pandémie. Par exemple, en 2022, la province du Guangdong aurait dépensé 71,1 milliards de yuans (9,7 milliards d’euros) pour les campagnes de vaccination, les tests de dépistage et les prestations d’urgence pour les personnes touchées par le virus, soit 0,6 % du PIB de la province. La baisse des pensions de retraites de centaines de milliers de retraités en Chine a conduit en février 2023 des centaines de retraités à manifester devant les sièges des gouvernements provinciaux de Wuhan (province du Hubei) et Dalian (province du Liaoning).
Aux pressions internes (économiques, sociales, démographiques) auxquelles la Chine est actuellement confrontée s’ajoutent des tensions internationales fortes et une dépendance étrangère toujours importante à certaines technologies essentielles (ARN messager, semi-conducteurs…). Le discours prononcé par Xi Jinping à l’ouverture du XXème Congrès du PCC en octobre 2022 reflétait des préoccupations grandissantes face aux défis majeurs auxquels la Chine est confrontée. La rhétorique sécuritaire chinoise avait surpris par son intensité et rendu les investisseurs étrangers fébriles, en attente de signaux d’ouverture.
En amont des lianghui, fin février, la Chine semble avoir renoué avec une communication plus pragmatique. Une allocution, prononcée par Xi Jinping en décembre 2022, a été publiée dans le journal du PCC, Qiushi, deux semaines avant le début des lianghui. Au sein de ce discours, centré sur les défis économiques de la Chine, le Secrétaire général du PCC expliquait que « les exports et les investissements étrangers sont des facteurs clés de la croissance économique chinoise. » A rebours de la rhétorique de repli d’il y a quelques mois, le pouvoir chinois semble réaffirmer une stratégie pragmatique marquée par un soutien à trois piliers centraux de la croissance économique chinoise : stimuler la consommation intérieure, soutenir les exportations et attirer les investisseurs étrangers. Au-delà du discours, certaines annonces récentes semblent effectivement indiquer une tendance à l’ouverture. Première annonce en date, le 17 février 2023, la CSRC (China Securities Regulatory Commission) a annoncé officiellement la réforme des processus de cotation sur les bourses de Chine continentale, c’est-à-dire la fin d’un “système d’approbation” au cours duquel la CSRC est seule décisionnaire, à un “système d’enregistrement”, plus transparent et reposant davantage sur les marchés eux-mêmes. Cette réforme pourrait, selon certains experts, dynamiser les investissements – notamment étrangers – en Chine. Le lendemain de la mise en place de cette réforme boursière majeure, le 18 février 2023, la CBIRC (China Banking and Insurance Regulatory Commission) et la PBoC (People’s Bank of China) ont publié conjointement un projet pour commentaires portant sur une révision des exigences de capital applicables aux banques commerciales, dans l’objectif de les rapprocher des standards occidentaux.
Si les réformes et les discours récents semblent signer la réaffirmation d’un pragmatisme économique de la part du gouvernement chinois, les annonces prochaines des lianghui, qui devraient se conclure en fin de semaine prochaine, permettront d’évaluer l’ampleur réelle de l’ouverture.