Deux « bank-run », plusieurs alarmes et quelques suspicions, en l’espace de moins d’un mois. Les emmerdements – dixit Jacques Chirac – ont beau voler en escadrille, peut-être y a-t-il lieu de s’interroger sur une concomitance qui ne serait pas que fortuite.
Ce qui apparaît en première analyse de l’actuelle crise bancaire, c’est que, dans un contexte de hausse accélérée des taux d’intérêt et de resserrement de la liquidité, avec la fin du quantitative easing, les erreurs de pilotage se paient désormais cash.
L’erreur, pour la Silicon Valley Bank, a été l’appât du gain d’une rémunération à terme et l’oubli de la vertu cardinale de la liquidité et de l’adage exprimé par un de mes anciens patrons : « Au-delà de 48 heures, c’est du long terme ».
L’erreur, pour le Crédit Suisse, a été une gestion hasardeuse des risques marquée par des scandales à répétition. Ils ne sont ni les premiers, et ne seront pas les derniers à s’être illustrés dans ce registre périlleux. Le Crédit Lyonnais, Dexia, Deutsche Bank les ont précédés. D’autres suivront.
Doit-on pourtant en conclure qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, et que, comme d’habitude, en raison d’une régulation supposée laxiste et perméable au lobbying, le cygne noir nous vient des Etats-Unis avant que l’Europe ne s’empresse de lui emboiter le pas ? Un point nouveau au moins mérite d’être noté : l’ampleur et la vitesse de propagation de la vague de demandes de retrait, constitutives du « bank run ».
Pour ce qui concerne l’ampleur de la vague et le volume des capitaux en jeu, rien à priori de très surprenant. Les montants figuraient au passif des établissements concernés ; les encours progressaient pour un coût presque nul et même parfois négatif. On peut noter néanmoins que les sommes en jeu qui étaient hier à la mesure des budgets publics et donnaient lieu, en cas de difficultés, à des nationalisations, sont devenues aujourd’hui hors de proportion des capacités financières des Etats souverains, détenteurs du monopole de l’impôt. Seules les banques centrales, détentrices du monopole de la création de monnaie, et non plus les Etats, sont en mesure d’intervenir. Et on remarquera incidemment qu’elles le font d’autant plus volontiers qu’elles sont devenues indépendantes.
Pour ce qui concerne la vitesse de propagation, là est le fait nouveau. Auparavant, la propagation de la rumeur d’une défaillance possible résultait de la constatation de files d’attente devant les agences bancaires, et le retrait des liquidités déposées était subordonné au bon vouloir d’un guichetier dûment briefé et peu coopératif. Aujourd’hui, la rumeur se propage sur les réseaux sociaux et le retrait s’opère au travers de la banque en ligne, à l’initiative du déposant et sans que la banque ne puisse ralentir les demandes de remboursement.
Les réseaux sociaux sont-ils devenus des armes de destruction massive de la réputation des banques ? En quelques jours, nous avons assisté à deux événements qui ont été qualifiés de « Twitter fueled bank-run », un retrait massif et soudain de la part de clients alertés par les réseaux sociaux, un retrait d’autant plus rapide que les porteurs peuvent transférer leurs fonds depuis leur portable en quelques secondes.
En trois jours, près de 1,3 millions de tweets ont été consacrés à la faillite de la Silicon Valley Bank. Par comparaison, au plus fort de la crise financière de 2008, 300 000 ont été échangés par jour, sur le sujet des banques en difficulté dont certaines beaucoup plus importantes et systémiques que la Silicon Valley Bank.
En une seule journée, Silicon Valley Bank a dû rembourser 42 milliards de dollars de dépôts. Le dernier record en la matière datait de la crise de 2008 et atteignait 16 milliards de dollars sur 10 jours (Washington Mutual). En trois jours, le Crédit Suisse a mis fin à 167 années d’existence. A l’ère des réseaux sociaux, la viralité des messages et la rapidité des ordres exécutés en ligne privent les banques et leurs régulateurs d’un temps essentiel pour réagir et mettre en place les garde-fous adéquats.
S’il est vrai que les banques sont aujourd’hui plus résiliente et moins vulnérables qu’elles ne l’étaient il y a 15 ans, il est également probable qu’elles doivent faire face à un risque de liquidité en forte augmentation et qui devra être pris en compte comme tel dans les futurs stress tests.
Malgré les dénégations et les assurances des banquiers centraux et des ministres des finances, le malaise persiste et la bourse boude les banques. Le doute s’est installé, le « flight to quality » se met en place et paradoxalement le bitcoin remonte.
Comme le rappelle avec insistance les éditoriaux du Financial Times, la possibilité d’un cygne noire, l’éventualité d’un krach bancaire demeurent. Plusieurs banques américaines sont en salle de réanimation : First Republic Bank, PacWest Bancorp, Comerica, Zion Bancorp.
En Europe, beaucoup pensent que la prochaine banque à souffrir de cette défiance est la Deutsche Bank dont la valeur boursière est tombée en dessous de 20 milliards d’euros. Certains augurent même que la Société Générale risque de suivre.
Il faut que l’orage passe pendant que les banques centrales installent les paratonnerres.