Toutes les parties politiques libanaises sont d’accord sur un seul point : la situation économique et sociale du pays est devenue dramatique et elle ne peut pas se prolonger au-delà de quelques mois.
Si certains pensaient qu’il serait possible d’attendre un an ou plus pour élire un président, le temps que les développements régionaux et internationaux se précisent – le nouveau chef de l’Etat étant alors en phase avec les nouveaux équilibres internationaux –, ils ont dû déchanter. La situation au Liban ne supporte plus la lenteur des développements régionaux et internationaux.
De plus, grâce à l’insistance des parties chrétiennes – le Patriarche maronite en tête – pour que le début de la solution passe immanquablement par l’élection d’un nouveau président, cette échéance est devenue le passage obligé de toute relance des institutions de l’Etat. Aujourd’hui donc, les parties politiques considèrent désormais que le Liban devrait être doté d’un nouveau président avant l’été.
Pour ceux qui ne voient pas actuellement d’issue à la crise libanaise ni de fond au gouffre dans lequel s’enfonce le pays, c’est déjà une bonne nouvelle. Reste à déterminer qui pourrait être la personnalité qui devrait diriger le pays pour les six prochaines années… Dès que l’on pose cette question, les divergences habituelles apparaissent, et chaque camp recommence à militer en faveur de son candidat. La situation se résume ainsi :
- Le président du Parlement, Nabih Berry (chef du mouvement chiite Amal), et avec lui le Hezbollah, appuient de plus en plus ouvertement le chef des Marada, Sleiman Frangié.
- Les Forces Libanaises et une partie des forces du changement (issues de la révolte de 2019) soutiennent le député Michel Moawad.
- Des ambassades occidentales et arabes appuient le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun.
- Le Courant Patriotique Libre (aouniste) milite pour l’équation suivante : aucun de ceux-là, il faut se diriger vers une autre option.
Après 11 séances d’élection présidentielle, il semble de plus en plus clair que le candidat Michel Moawad ait fait son plein de voix (un maximum de 49). Par conséquent, il est peu probable qu’il obtienne le nombre requis pour cette échéance (65).
De son côté, le général Joseph Aoun ne bénéficie pas de l’appui clair d’une partie locale précise. Il est vrai qu’étant encore à la tête de l’armée, il ne peut pas annoncer publiquement sa candidature ; toutefois, il a été la cible au cours des dernières semaines d’une campagne médiatique indirecte qui montre qu’il y a une sérieuse opposition à sa candidature. C’est d’ailleurs le président de la Chambre Nabih Berry qui a clos le débat en rappelant que pour élire le commandant en chef de l’armée, il faut un amendement constitutionnel. Or celui-ci n’est pas possible dans les circonstances actuelles, puisqu’il exige le vote des deux tiers des membres du Parlement (86 voix).
Reste le chef des Marada, Sleiman Frangié, qui bénéficie du soutien des députés chiites et de leurs alliés, au total près de 63 voix ; mais ces parties ne parviennent pas à lui assurer le quorum de 86 députés présents requis, en raison notamment de l’opposition des principaux blocs chrétiens, le CPL et les FL. A moins d’aller vers un bras de fer confessionnel avec les principaux partis chrétiens, Frangié ne peut pas être élu dans les circonstances actuelles.
Il existe deux possibilités pour changer cette situation : la première est que l’Arabie Saoudite, qui jusqu’à présent refusait tout candidat proche du Hezbollah, change de position. A ce moment-là, les FL par exemple pourraient se rendre au Parlement si une séance d’élection présidentielle était fixée et voter pour Michel Moawad tout en assurant le quorum requis de 86 députés pour l’élection de Frangié. Jusqu’à présent, l’Arabie maintient cependant son opposition ; et des sources diplomatiques arabes précisent qu’elle ne changera sa position que contre une compensation qui lui serait donnée soit par l’Iran au Yémen, soit par la Syrie dans un retour à une formule dans le genre d’un partage d’influence syro-saoudienne au Liban.
La seconde possibilité est que le groupe parlementaire aouniste et son chef Gebran Bassil acceptent de participer à une séance d’élection présidentielle sans pour autant voter pour Sleiman Frangié. Ils assureraient ainsi le quorum requis pour l’élection, sans pour autant donner leurs voix à Frangié, ou en laissant la liberté aux députés membres de son bloc. Le vice-président de la Chambre, Elias Bou Saab, a même fait une allusion précise sur le fait qu’il pourrait voter pour Frangié. Ainsi le CPL ne couperait pas les ponts avec le Hezbollah et Amal, ni avec Frangié, mais il se réserverait le droit de mener une opposition véhémente contre le mandat de ce dernier s’il était élu… un peu comme Frangié l’avait fait lui-même avec le mandat de Aoun. Pour l’instant, rien n’indique qu’une telle option soit possible. Interrogés à ce sujet, les milieux proches du CPL affirment que rien de tel n’est envisagé à l’heure actuelle.
Ne reste donc plus qu’un scénario, celui du choix d’une autre personnalité. Les différentes parties pourraient se diriger vers une telle option vu que le temps presse. L’une après l’autre, les institutions de l’Etat sont en train de s’effondrer, alors que la situation économique et sociale du pays est explosive et que les forces de l’ordre ont du mal à veiller à la stabilité interne. Certes, pour l’instant, la multiplication d’incidents sécuritaires reste principalement liée à la situation sociale tragique. Pourtant, l’assassinat du cheikh Rifaï au Akkar aurait pu plonger le pays dans un conflit confessionnel si les services – avec à leur tête les renseignements des FSI – n’avaient pas agi aussi rapidement. C’est dire combien la situation est délicate et combien la sécurité reste fragile.
C’est pour cette raison que plusieurs parties diplomatiques, dont la France, poussent les Libanais à sortir du binôme Frangié-Aoun pour trouver une solution qui permette à tous de ne pas se sentir vaincus ni vainqueurs. Des noms commencent à circuler, comme ceux de l’avocat et ancien ministre Naji Boustany, et de l’actuel président de la Ligue maronite, l’ambassadeur Khalil Karam, ou d’autres encore. Il y aurait là une chance réelle d’abréger la période de vacance présidentielle. Mais pour qu’une telle occasion soit saisie, il faudrait que les parties concernées en soient convaincues…