«Le Conseil constitutionnel n’est pas une chambre législative de “rattrapage”»
On peut légitimement s’interroger sur l’objet de la grève organisée ce jeudi 13 avril à la veille de la délibération du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites prévue par la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. S’il s’agit de faire pression sur l’institution et l’amener, pour reprendre l’expression de ses détracteurs, à faire primer la « démocratie sociale » sur la « démocratie politique », cette initiative procède d’une interprétation erronée de la nature et de la fonction du Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel, auquel j’ai appartenu entre 1992 et 2001 et qui a eu alors également à statuer sur des textes controversés, n’est pas et ne doit pas être une institution politisée. Pas plus aujourd’hui qu’hier, ses membres ne se prononcent selon leurs sensibilités politiques ou partisanes. Ceux qui seraient tentés de le faire sont marginalisés. A chacun son rôle : un parlementaire, élu de la Nation, s’attache à promouvoir sa vision politique et, comme législateur, à construire un cadre juridique conforme à cette vision et si possible adapté aux défis du temps présent. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, « dit » la Constitution en assurant que les lois de la République respectent les valeurs et les règles du jeu procédurales qu’elle édicte. En dépit des espoirs de certains de lui voir jouer le rôle d’une chambre législative de « rattrapage », le Conseil constitutionnel rappelle rituellement que la Constitution ne lui confère pas « un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen ».
Faute de savoir ce que sera la décision du Conseil constitutionnel sur la prolongation de deux ans de l’âge de la retraite, des critiques ad personam se font jour tendant à décrédibiliser l’institution pour mieux contester sa décision si jamais elle déplaît. Par exemple, des chroniqueurs désignent les juges constitutionnels français comme les « complices objectifs des possédants », d’autres regrettent que le Conseil ne s’érige pas en contre-pouvoir législatif, d’autres enfin, alors même qu’ils ont tout fait pour bloquer le débat, font valoir que la sincérité des débats au Parlement est atteinte par le recours à l’article 49.3 de la Constitution – dont l’objet même est de surmonter ces blocages.
Last but not least, le mode de nomination des membres est contesté, alors que chacun sait que, comme pour n’importe quel magistrat de n’importe quelle cour, ce sont les garanties d’indépendance qui comptent. Il n’est pas une cour qui ne soit issue de la désignation par les autorités politiques. Au niveau constitutionnel, les membres du tribunal allemand de Karlsruhe sont désignés par le Président fédéral sur proposition des deux assemblées, le Bundestag et le Bundesrat, en fonction des partis politiques représentés au Parlement. Cela ne les empêche pas de marquer leur différence s’il y a lieu. Veut-on vraiment comme aux Etats-Unis reproduire les péripéties qu’a connues la Cour suprême avec les nominations promues par l’ex-Président Donald Trump ? Quels avantages tirerait-on en France de la création d’un contre-pouvoir constitutionnel qui, aux Etats-Unis, contribue fortement à mettre en péril la cohésion de la Nation ?
Dans une démocratie, la critique est libre, y inclus celle des décisions de justice. Mais gare aux dérives populistes qui consistent à entamer la confiance des citoyens dans les institutions !
Paru dans l’Opinion le 13 avril 2023