Prochaine présidentielle au Sénégal : de plus en plus de tensions et d’incertitudes
Le Sénégal est entré dans une période d’incertitudes et de tensions en grande partie dues à la radicalisation des rapports entre le pouvoir et l’opposition et à la stratégie du président Macky Sall de rester dans le non-dit quant à sa candidature.
Dans les propos liminaires de sa déclaration de candidature à l’élection présidentielle, Idrissa Seck a dépeint avec inquiétude la situation de son pays. Il a évoqué les “esprits échauffés”, l’aggravation des “tensions et des émotions”, et affirmé que ses concitoyens, peu rassurés ces derniers temps, n’aspirent qu’au “calme et à la stabilité”. Pour la quatrième candidature de sa carrière à la magistrature suprême, l’ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade, a lancé un appel à un sursaut de ses compatriotes en faveur du développement du pays, du rétablissement de la confiance et de l’honnêteté, et du renforcement de la stabilité notamment face à la situation instable de l’Afrique de l’Ouest minée par le terrorisme et les coups d’Etat. Idrissa Seck avait rallié la majorité présidentielle et Macky Sall en devenant président du Conseil économique, social et environnemental (CESE). En se présentant il a annoncé sa démission de ce poste, prestigieux mais sans grand pouvoir, ainsi que celle des ministres de son mouvement politique de l’actuel gouvernement. Il est le premier de la coalition Benno Bok Yakar (BBY) a officiellement prendre ses distances avec le président sortant, mais certainement pas le dernier.
Depuis plusieurs mois, le Sénégal, autrefois considéré comme un havre de paix et de stabilité en Afrique, vit à l’heure de la prochaine élection présidentielle prévue pour février 2024. Mais cette échéance électorale cruciale qui ne devrait être qu’une formalité, dans un pays habitué aux alternances démocratiques depuis des décennies, est entachée d’un fort sentiment d’inquiétude et ce pour deux raisons majeures : d’abord le président Macky Sall fait planer le doute sur une possible candidature pour un troisième mandat ; ensuite son principal challenger, Ousmane Sonko, est considéré par un grand nombre de Sénégalais comme un démagogue extrémiste proche, un temps du moins, de certains radicaux islamistes qui n’a pas hésité à appeler à la violence et a soutenu les émeutes de mars 2021 qui ont fortement dégradé l’image du pays, les utilisant dans ses déboires judiciaires.
Les Sénégalais vent debout contre un troisième mandat
La majorité présidentielle a essuyé de nombreux revers électoraux ces derniers mois, échouant aux élections locales, puis aux législatives de l’été dernier à obtenir une majorité claire. Pour la première fois, le président est passé très près d’une cohabitation et ne dispose que d’un siège de majorité à l’Assemblée. C’est que les Sénégalais ne veulent absolument pas d’un troisième mandat, et ils l’ont dit par deux fois dans les urnes. Pas forcément contre Macky Sall, mais par principe. Macky Sall de son côté, estime, après des réformes constitutionnelles sur la durée du mandat présidentiel qu’il a tout à fait le droit de se représenter… mais ne dit pas s’il va le faire. Cette situation handicape le débat démocratique et pousse les opposants à se radicaliser, mais aussi à limiter leurs discours électoraux au simple rejet, très fédérateur, d’un troisième mandat sans présenter de nouvelles offres politiques pourtant indispensables au vu de la situation sociale, économique et sécuritaire du Sénégal.
Personne ne s’explique la position de Macky Sall, qui n’a rien de rationnel quand on sait qu’il avait lui-même pris position contre la tentative de troisième candidature du président Abdoulaye Wade en 2012 et s’était même engagé, dans un livre, à ne jamais faire plus de deux mandats. Les plus optimistes disent qu’il est prisonnier de son entourage qui craint les foudres de la justice puisque certains de ses proches sont soupçonnés de corruption et d’enrichissement personnel au détriment de l’Etat. Les plus pessimistes confient que le chef de l’Etat est comme atteint d’un syndrome d’absolutisme et qu’encore jeune il estime pouvoir rester au pouvoir contre la volonté d’une majorité de Sénégalais. La vérité se trouve sans doute un peu entre ces deux théories, mais ce qui est sûr c’est que Macky Sall, élu en 2012 puis en 2019, ne s’est pas encore prononcé publiquement.
Selon un de ses proches conseillers, « il n’a pas encore pris sa décision. Il attend, gagne du temps, parce qu’une fois qu’il se sera prononcé, la situation changera du tout au tout quelle que soit sa décision ». Après une présidence très positivement remarquée de l’Union Africaine, on pourrait penser que Macky Sall, dont le bilan peut être considéré comme positif globalement dans son pays, a tout intérêt à sortir par le haut et à ne pas se représenter mais à briguer un poste important au niveau international. Il aurait tout à y gagner, laissant ainsi le champ libre à une nouvelle génération d’hommes politiques. Mais en ne se prononçant pas, il bloque ceux de son camp au premier chef son actuel Premier ministre Amadou Ba.
Une opposition en rangs dispersés
Du côté de l’opposition, l’incertitude prévaut également. Le chef de file de la principale coalition YAW (Yewi Askan Wi, “Libérons le peuple”, en wolof) Ousmane Sonko enchaîne les mises en cause judiciaires et les audiences au tribunal. Par ses discours violents, son sentiment anti-occidental assumé et ses appels tonitruants à la rue, il inquiète un grand nombre de Sénégalais qui voient en lui un agitateur peu sérieux, mais pas un homme d’Etat. D’autant que l’accusation de viol toujours pendante d’une hôtesse de salon de massage de Dakar a dégradé son image de pieux musulman. Condamné pour diffamation contre le ministre du Tourisme fin mars, Ousmane Sonko a échappé pour l’instant à l’inéligibilité. Une arme judiciaire utilisée par Macky Sall contre deux autres ténors de l’opposition qui ne savent pas encore s’ils pourront se présenter en 2024 : l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall et le fils et ancien ministre d’Abdoulaye Wade, Karim Wade toujours en exil au Qatar. Dans le cadre de leur alliance, ces trois opposants ont décidé de tous se présenter (s’ils le peuvent) au premier tour de la présidentielle et de se rallier au mieux placé au second tour. Cela suppose des campagnes de premier tour qui risquent de crisper les partisans des différents candidats qui viennent souvent d’horizons politiques très différents. Le rassemblement nécessaire au second tour ne pourra se faire que sur le plus petit dénominateur commun : le rejet d’un troisième mandat de Macky Sall si celui-ci est en lice, sinon sur quel programme ?
Ces incertitudes ajoutent clairement à la tension ambiante. L’opposition elle-même semble craindre d’être dépassée par sa base puisqu’elle a décidé de suspendre les manifestations qui étaient prévues le 3 avril dernier à Dakar. Les centaines d’arrestations d’opposants par les autorités et les limites à l’exercice de la liberté de la presse ou de la liberté de manifestation aggravent encore la situation générale et dégradent un peu plus l’image du pays.